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Critique de Tachan


Tachan
02 septembre 2021
Pour être tout à fait honnête, j'avais déjà découvert le titre il y a quelques années en anglais grâce au forum de mangaverse où on en avait fait une très belle pub. Je n'avais cependant pas pleinement apprécié le titre et je n'avais jamais continué. Or, avec l'édition française portée par un vrai conteur de Rakugo qui s'en est fait le traducteur ici, j'ai eu envie de redonner sa chance au titre et j'ai eu raison.

Dans un style proche des déesses du josei que sont pour moi Yûki Kodama (Kids on the slope), Akiko Higashimura (Le Tigre des Neiges, Tokyo Girls Tarareba...) et Natsume Ono (Ristorante Paradisio, Gente...), Haruko Kumota a fait le parti pris pas facile à assumer de mettre en scène un pan très particulier de la culture japonaise : le stand-up humoristique sur fond d'histoires se déroulant pendant l'ère Edo, ce qu'on appelle plus simplement le Rakugo. Cet art, je ne le connaissais pas, et je le pensais assez hermétique. Pourtant, elle le porte ici en étendard dans une histoire qui va bien plus loin que la promotion de cet art.

La première fois que j'avais lu cette oeuvre, je lui avais trouvé tout plein de qualités que je lui retrouve encore, dans sa narration, ses personnages, sa facilité à allier récits tranche de vie et polar historique, etc. Mais je n'avais rien compris au Rakugo et ça m'avait même prodigieusement ennuyée. Avec la superbe traduction de Cyril Coppini et surtout sa postface qui explique son parcours et son rapport à cet art, j'ai complètement changé d'avis. Alors je vous invite à faire comme moi et à la lire avant pour vraiment vous immerger dans cet art si particulier !

La saga, regroupée ici dans des volumes doubles, met en scène dans les années 60, un jeune ex-yakuza qui sort de prison et va demander à devenir le disciple d'un grand maître de Rakugo qui le fascine. A la surprise générale, celui-ci qui n'a jamais pris de disciple avant, accepte. Va commencer alors leur vie de maître et de disciple en compagnie de la fille du meilleur ami décédé du maitre, qui était lui aussi un grand artiste dans ce domaine.

Dans un premier temps, l'histoire se veut assez classique. L'autrice nous fait découvrir cet art, son fonctionnement, assez complexe pour la néophyte que je suis, je l'avoue, heureusement qu'il y a des aides à la fin et tout au long grâce aux notes explicatives. Cependant ce train train ronronnant n'est pas désagréable. Il permet de s'installer dans la drôle de dynamique qui régit l'entourage de Maître Yakumo, un homme aussi charismatique qu'il est mystérieux.

Cependant, le titre prend vraiment toute son ampleur quand la jeune fille qu'il élève, Konatsu, l'accuse de la mort de son père, qui était tout autant son meilleur ami que son rival. On comprend alors la relation ambigüe qui relie les deux et surtout l'ambiance étrange qu'il y avait dans leur demeure. le récit va alors prendre une trajectoire entre le récit de vie et le polar, le doute s'installant sur la relation qui unissait Yakumo à Sukeroku.

Haruko Kumota n'a alors pas son semblable pour croquer les émotions très particulières qui occupent nos héros. On se délecte de l'apprentissage de Kyoki, sa joie de vivre, sa drôlesse et sa grande naïveté malgré ce qu'il a vécu, ainsi que de sa passion pour chaque maître qu'il croise, tandis qu'il cherche son style. On ne peut que resté scotché devant la classe et la grande maîtrise de Maître Yakumo, mais il a aussi une froideur qui peut faire froid dans le dos et on ne sait jamais sur quel pied danser avec lui. Il est très secret. Vient ensuite Konatsu, cette jeune fille à fleur de peau, à qui son père manque énormément et qui regrette de ne pas pouvoir monter sur scène à son tour car elle est une fille et le Rakugo est interprété uniquement par des hommes. Tout cela crée un vrai maelström d'émotions qui nous emporte fugacement au fil des pages. 

La lecture est dense. J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois, faire des pauses, entrecouper avec d'autres choses, pour digérer tout ça, mais j'y suis toujours revenu avec le plaisir de retrouver des personnages appréciés et un univers qui me fascinait. L'autrice fait en sorte de nous plonger progressivement dans cet univers. Elle trouve le bon équilibre entre drame, humour et mystère, alternant les chapitres introductifs, développant l'histoire ou revenant sur le passé des personnages. C'est extrêmement bien écrit. Elle rend aussi bien hommage à cet art passé méconnu qu'elle bâtit une histoire autour de ses personnages. C'est très plaisant.

Son trait épuré, offre une grande liberté dans la narration et une belle respiration entre chaque case qui fait du bien dans un récit aussi dense en émotions et événements. J'adore sa façon de planter le décor quand les héros montent sur scène. On les écoute alors religieusement, tout comme on rit quand ils sont drôles. Elle a d'ailleurs une belle palette d'expressions, allant du vieux beau hyper classe, au jeune idiot, en passant par le type mystérieux ou le satire. Elle croque aussi bien les vieux que les jeunes, les chevelus que les chauves, les hommes que les femmes, les riches que les loqueteux, le temps d'après guerre que d'avant guerre. Et il se dégage vraiment quelque chose quand l'esprit de Sukeroku est invoqué, c'est quasi mystique !

Même si ce n'est pas un titre simple à appréhender, j'ai vraiment ressenti quelque chose de fort à sa lecture. J'ai adoré découvrir cet art inconnu pour moi, ses codes et ses histoires. Je me suis rapidement attachée aux personnages, à leur passé et à leur présent. Mais surtout, j'ai été soufflée par le talent de conteuse de l'autrice, qui parvient à jouer sur de nombreux registres, mais toujours avec une vive émotion qui m'a rendu à fleur de peau. C'est une très très belle découverte. Merci au Lézard noir d'avoir osé le pari !
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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