Citations sur Le secret d'Emma M. (14)
Samedi, elle fut réveillée par une pluie battante. De la fenêtre entrouverte de sa chambre, elle entendait le ruissellement s’écouler par la gouttière et les gouttes s’abattre sur la vitre. Ce fut une morne journée. Elle n’avait pas le courage de sortir. Lire, écrire, cuisiner, regarder un film … tout lui semblait vide. David lui téléphona à plusieurs reprises mais elle laissa sonner son portable sans décrocher. Elle aurait voulu que ce soit Colyn. Il ne lui avait jamais demandé son téléphone.
Le dimanche chassa le samedi. Emma se réfugia dans le seul lieu qui pouvait apaiser ses tourments : la forêt. Sous un ciel couvert avec Neo, elle flâna dans le bois, s’attarda sur les sentiers, perdant son regard dans l’immensité de la végétation et se laissant bercé par le murmure des ruisseaux. Elle respirait ; elle s’avisa qu’elle ne pensait désormais plus à Irwin. Sa passion s’était dissipée pour une autre plus réelle mais non moins hors de portée.
Au débouché du bosquet par l’Est, elle rejoignit les plaines où tombait une bruine légère en fines gouttelettes fraîches qui venaient effleurer son visage, sa gorge, ses bras, Elle se sentait peu à peu pacifiée.
Iris était l’un des meilleurs éléments de la rédaction et pressentie pour succéder au rédacteur en chef à l’automne. Professionnelle, consciencieuse, elle était toujours tirée à quatre épingles, en tailleur strict et talons hauts, maquillage impeccable, les cheveux proprement attachés. Elle faisait figure de wonder woman aux yeux d’Emma qui se sentait comme la petite Fadette en comparaison.
Ça fait longtemps que j’ai arrêté de comprendre les femmes, dit-il en faisant une grimace à
Emily.
― Tu as raison, elles sont trop fines pour ton esprit rudimentaire, riposta-t-elle. Tu l’sa invitée pour ce week-end ?
― Pas encore. Je vais attendre. Je ne veux pas la braquer : si je dis un mot de trop, elle va se refermer comme une huitre, soupira le jeune homme en montant les escaliers en colimaçon accédant au premier étage.
L'amour, Judith, la fidélité, c'est une lutte; le mariage, c'est exaltant, c'est pénible, c'est attirant, c'est contraignant, c'est paisible, c'est houleux, c'est gratifiant, c'est insupportable, c'est naturel, c'est impossible...c'est tout cela à la fois, et c'est ce qui fait de lui le suprême pari.
Emma vivait dans un appartement ― un fait d’une normalité affligeante ― cependant, la forêt était son chez soi. Elle appréciait la compagnie des humains, à dose modéré […]. Chez elle, les marches solitaires avaient la préférence sur les cocktails animés où elle se sentait toujours une étrangère. Le long des chemins de terre, au plus près des feuillages, des ruisseaux et des rochers, par tous les temps et sous tous les climats, c’est là qu’Emma était elle-même.
- Le passé que l'on veut enterrer a cette façon dérangeante de toujours nous rattraper...répondit Emma, songeuse.
Colyn resta toute la nuit dans l’église.
Il attendait l’heure où elle partait au travail pour rentrer. Dans la maison vide, il se décida à une mesure extrême : il y avait ce carnet, rangé dans le tiroir de sa table de nuit, ce carnet dans lequel elle écrivait quelques lignes tous les soirs, ses secrets, ces pensées. Il n’aurait jamais eu l’indécence de violer son intimité, mais y avait-il une autre issue ? Elle ne voulait pas lui parler et il ne pouvait la forcer.
Assis au bord du lit, il feuilleta le petit journal en tremblant légèrement. Des prières, des citations, des poésies, des réflexions … et au détour d’une page, d’une écriture serrée : « Oh, mon Dieu, que de douleur et de souffrance … je ne peux pas lui dire en face que nous n’aurons jamais d’enfant. »
Il referma le carnet et se prit la tête entre ses mains. Nul besoin de continuer à lire.
Il avait arrêté de l’attendre après son travail, de lui offrir des fleurs, de l’inviter au restaurant, de l’accompagner en promenade, de lui proposer des sorties ensemble … toutes ces petites attentions qui entretiennent la flamme.
Il s’était lancé à corps perdu, dans des tournages et des projets, pour ne pas avoir à endurer sa présence qu’il ne pouvait plus atteindre. Avec cette femme il ne pouvait plus communiquer.
Peut-être aurait-il dû persister, ne pas se décourager.
Il examina son alliance, à son doigt ; celle qu’il avait échangée avec Emma deux ans plus tôt.
Oui, il aurait dû. Il aurait pu lui exprimer sans relâche qu’il serait toujours là. Au lieu de se battre, de lui montrer qu’il tenait à elle, il avait fui.
Un petit chat tigré vint se frotter aux jambes d’Emma et bondit lestement sur ses genoux où il s’installa aussi naturellement que si se siège lui était réservé depuis le commencement des temps.
― C’est Prune, elle ne te dérange pas ?
― Au contraire, elle est adorable, répondit Emma en la caressant.
― Tu es privilégiée, elle n’adopte pas tout le monde aussi facilement.
-Tu vois de la créativité où je vois de la répétition, le jour après la nuit, la pourriture après l'éclosion, le prédateur après la proie, la mort après la vie... La rengaine monotone du monde.
-Rengaine ? Une mélodie continue, qui n'est jamais ni tout à fait différente ni tout à fait la même...sans vouloir plagier Verlaine.
-C'est vrai...il parait que le monde ne mourra jamais faute de merveilles mais uniquement faute d’émerveillement.