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Critique de Kirzy


Kirzy
20 février 2024
Quel livre étonnant ! Il s'ouvre sur une citation de la Genèse évoquant la création de l'homme avant de plonger le lecteur dans une narration discontinue, succession de vignettes convoquant une baleine matriarche voyageuse, un requin aveugle affamé, un Amérindien du fonds des âges assistant à un combat baleine vs calmar géant, un marin du XIXème siècle, une fillette d'aujourd'hui qu'on voit grandir et se passionner pour la nature et le monde marin.

Il faut attendre la moitié du roman pour commencer à comprendre comment le récit s'articule, ses enjeux,.j'ai du m'y reprendre à deux fois, persuadée que j'avais tâté quelque chose. Mais j'ai été tellement charmée par la poésie qui se dégage des phrases et stimule un riche imaginaire que je me suis laissée totalement portée. Des images follement superbes se sont durablement imprimées ...

... cette vieille baleine épuisée qui tète « surprise par la chaleur du lait, sa richesse, son onctuosité. Elle tète longtemps, avec avidité. Une autre jeune mère prend le relais. L'appétit de la matriarche est grand. Quand, enfin gorgée et ragaillardie, elle reprend ses esprits, elle se met à chanter de toutes ses forces. Un appel à quitter ce lieu maudit et stérile et à la suivre vers un nouveau territoire. La banquise y est très épaisse, trop parfois, mais son instinct lui dit que cette fois-ci elles pourront la fracasser au prix de quelques nouvelles balafres. Elles perceront les glaces éternelles et feront naître un nouveau océan s'il le faut. »

... la vie dans les profondeurs bathyales avec leur « manière différente d'habiter le monde, de le percevoir et d'y intéragir existe à côté de nous. Comment se sent un poulpe dont chaque bras forme un système nerveux autonome ? de quoi est fait l'environnement d'un animal quand ses manifestations les plus vives lui parviennent par le biais des champs électriques émis par ses proies ? A quel rythme s'écoule le temps pour un arbre de sept cent ans ? Un corail de trois mille ans ? »

Le plus étonnant, c'est comment l'autrice est parvenue à instiller un pessimisme presque joyeux à son texte. le contexte est douloureux, entre éco-anxiété et apocalypse réaliste, avec un monde qui se meurt irrémédiablement et une mission scientifique en Arctique qui veut sauver les écosystèmes en péril telle une arche de Noé. Et pourtant, son roman est lumineux, à l'instar de son dernier chapitre qui relie somptueusement toutes les scènes qui semblaient disparates. le trait est sobre, dénué d'emphase pour parler de cette « fin du monde », laissant ainsi toute sa place à un récit contemplatif qui dépasse l'humain, et qui lui se développe dans le lyrique.

La narratrice, jeune scientifique embarquée à bord de ce navire hors du temps, convoque ses souvenirs, remonte sa généalogie, ses ancêtres, comme si dans l'apocalypse, les souvenirs du passé permettaient de ne pas mourir dans le présent et de survivre dans le futur. Dans ce plaidoyer écologique, la résilience de l'espèce est humaine ne se cantonne pas à une vaine espérance mais se déploierait dans un nouveau cycle de vie, différent, plus vertueux, possible en tout cas, avec une science émouvante et non strictement utilitaire.

Le récit est court, sans doute aurais-je aimé m'immerger encore plus longtemps, approfondir ma connaissance de plusieurs personnages, mais de façon évidente, J.D. Kurtness a un univers fort et singulier, loin des sentiers battus narratifs, qui ravira ceux qui seront sous son charme ou pourra déstabiliser ceux qui ne parviendront pas à relier les fils dans la première moitié du récit. Quitte ou double.
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