Je risque de mourir ce soir et je mourrai au printemps. L'idée je le sais, est absurde. Qu'est ce que cela change de mourir en hiver, en automne, en été, au nord ou au sud ? Je crois pourtant que j'accepterais mieux l'échéance si tout est gris et froid. En m'éteignant quand tout renaît, j'aurais l'impression de mourir deux fois.
Un chef vous fait comprendre que vous êtes essentiel. Plutôt que de vous faire sentir que vous dépendez de lui, il vous persuade que c'est lui qui dépend de vous. Il n'est pas le premier, mais la somme de ceux qui le suivent. [p.56]
Un peuple creuse fébrilement son chemin vers la victoire. Notre camp n'est plus qu'une immense motte grignotée par des galeries qui sans cesse se multiplient.
Il est des mots simples dont on sait, à peine abordés, qu'ils vont bouleverser votre vie.
Ce n'est que bien plus tard que j'ai lu les vers prémonitoires d'Alan Seeger. Ils sont là, posés dans mon carnet de cuir.
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier.
Un chef vous fait comprendre que vous êtes essentiel. Plutôt que de vous faire sentir que vous dépendez de lui, il vous persuade que c'est lui qui dépend de vous. Il n'est pas le premier, mais la somme de ceux qui le suivent. [p.56]
Bon Dieu, pourquoi se bat-on ?
Chaque mort nous renvoie à la nôtre qui peut venir demain, maintenant. Une fraction de seconde, avant même de pleurer l'ami perdu, nous voyons notre fin à travers la sienne. "Et si c'était moi..." Ici, on meurt plusieurs fois par jour et c'est épuisant.
Un caporal entre dans l'abri. Kader l'apostrophe :
- Te voila ?
- Je crois, oui...
- Et Martial ?
- Il traîne un peu, il arrive.
- Et Courtois ? il traîne aussi ?
- Il est mort.
Le jeune parachutiste a dit cela comme il aurait dit " il dort." Il se met torse nu, s'affale contre la paroi, ferme les yeux.
Je manque d'air, je suffoque de cette odeur de sang et de déchets humains. J'étouffe de cette souffrance acceptée, puisque la révolte ne mène à rien.
Cette guerre traîne depuis huit ans, au mieux dans l’indifférence, au pire dans l’hostilité de la métropole. Notre sort n’intéresse pas, ou il rebute. Les politiques ont fait ce qu’ils savent le mieux faire, décidant de ne rien décider et se défaussant sur le haut commandement