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Citations sur De l'autre côté de l'eau. Indochine, 1950-1952 (5)

Le règlement officiel régit mes relations avec mes supérieurs et les sous-officiers français. Il ne m’est d’aucun secours dans mon rapport aux partisans, qui ne savent pas ce qu’est la France, pas plus que le communisme, et se considèrent comme liés à moi par un lien féodal de caractère assez particulier : ils ont le droit de le rompre quand ils le souhaitent, il n’est fondé sur aucun document écrit, mais tant qu’il est tacitement reconduit, il me donne sur eux, en pratique, le droit de vie et de mort.

Ce lien qui nous unit est matérialisé par une seule chose, l’argent, la pauvre solde que je leur remets tous les quinze jours. Ce n’est pas choquant. L’argent ici n’est pas le mal, il est le bien le plus primitif, la possibilité de manger. Pendant l’une des agréables détentes qui émaillent les opérations, je leur demande pourquoi ils acceptent de me suivre, et au besoin de se faire tuer pour moi. À voir leur tête, je comprends qu’il s’agit d’une question d’ordre métaphysique. Ils finissent par répondre : « Parce que chez toi, on mange bien. » Je suppose qu’ils ont voulu dire que je réglais la solde intégralement sans en mettre dans ma poche, contrairement, dit-on, à certains chefs caodaïstes.

Puisque l’argent a valeur de symbole, je paie moi-même la solde et je ne demande jamais son nom au récipiendaire : je dois le connaître, le lien qui nous unit l’impose. Cet exercice profitable me permet de distinguer, sans grand risque d’erreur, un Tonkinois d’un habitant de l’Annam, un Cochinchinois d’un Cambodgien, voire d’un Chinois quand, par hasard, j’en rencontre. Avec l’habitude, ils sont aussi différents qu’un Suédois l’est d’un Tunisien. En leur réglant leur dû, je leur rappelle leurs dettes à mon égard, mais je retiens rarement de l’argent de mon propre chef : une reconduction tacite est la règle.
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L’intelligentsia, toujours en retard d’une idéologie, adule les communistes et les chrétiens progressistes tiennent le corps expéditionnaire pour d’abominables colonialistes Un an plus tard, la mort de Staline donnera l’occasion d’une sinistre bouffonnerie hautement symbolique : l’armée reçoit l’ordre de mettre les couleurs en berne pendant plusieurs jours en l’honneur du petit père des peuples, que la plupart des grandes consciences tiennent encore à cette époque pour le sauveur du monde. Heureusement, nous savions que certains ordres ne sont pas faits pour être exécutés. Mais celui-ci est arrivé à ses destinataires, et je le regrette.
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Pour mes hommes, la mort est peut-être absurde, mais guère terrifiante. […] Après une cérémonie militaire, on place les corps sur un énorme bûcher d’hévéas arrosé de gas-oil. Tout le monde rit autour du feu qui monte haut dans le ciel. […] le meilleur ami des deux morts surveille la longue opération. Comme je lui demande si c’est bientôt fini, il fourrage avec une longue perche, soulève quelque chose et me dit : « Il en reste encore un kilo, un kilo et demi. »
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Mais « comment commander des Jaunes », je ne m’étais pas inquiété de ce problème et personne ne me l’avait expliqué. […] Mon mentor a été un très vieux Chinois, l’adjudant Niem, retraité de la coloniale. Il était un peu gâteux, malin et plus raciste qu’il n’est possible. Sa hiérarchie des races n’était pas celle du comte de Gobineau. Il y avait, au-dessus de tout, les Chinois. Et puis, bien plus bas, les Blancs, les Tonkinois, les Annamites, les Cochinchinois, enfin les Khmers du Cambodge, sous-race parfaitement méprisable.
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Bien vite, je découvre que leur liberté est un leurre. Eux, qui semblent indifférents à la mort, alors que j'en ai peur, et qui sont étonnamment durs au mal, ils redoutent la nuit, les fantômes, les revenants et toutes les forces obscures et invisibles contre lesquelles ils ne savent pas lutter. Pour eux, je deviens peu à peu celui qui prend le risque d'affronter les démons à leur place. On n'occupe pas la case d'un mort, mais si j'en donne l'ordre solennel, à moi le mauvais sort.
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