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Critique de Alexein


Pour tous ceux qui ont connu la dépression, ce livre ne peut laisser indifférent. On pourrait croire à première vue qu'il ne s'agit dans ce livre que du déballage sans pudeur des états d'âme d'un membre du microcosme parisien, d'un de ceux qui ont leur petite place bien chaude au sein de l'élite médiatique et intellectuelle de la capitale. On peut se demander pour quelle raison Philippe Labro s'effondre soudain à l'intérieur de lui-même alors qu'il vient d'accéder à la direction de la première radio de France ; que tout ceci n'a pas de raison fondée et que ce livre ne serait que prétexte et vanité d'un homme menant une vie très confortable qui se lamenterait sur son sort alors que bien d'autres vivent des situations bien plus dramatiques et désespérées que la sienne.

Cela est trompeur car il n'en est rien. C'est un homme qui met son être entièrement à nu, qui nomme les choses aussi précisément qu'il lui est possible. C'est un être humain comme vous et moi qui se confie ici. Cela transpire dans toutes les descriptions, perçantes comme des milliers d'aiguilles, des symptômes de cette maladie honteuse, cette « broyeuse », qu'est le syndrome dépressif.

La difficulté de trouver un praticien avec qui le courant passera ; les multiples échecs ; l'isolement, le dégoût de soi, la vitalité minée, sapée de toute part ; la sensation de dériver, de ne plus pouvoir se raccrocher à rien de tangible, les angoisses vertigineuses et abyssales ; le sentiment d'être indigne d'être aimé, d'être indigne de vivre, de n'être plus qu'une coquille vide, de ne plus reconnaître la figure qu'il voit dans le miroir comme étant la sienne, tout cela est décrit simplement, de façon sincère, juste et poignante.

On se traîne, on passe plus de temps au lit sans réel effet bénéfique. Mais comme on a le dégoût de tout ou plutôt goût à rien, on pense qu'on ne mérite pas d'infliger notre présence au monde. L'isolement est inévitable et fait partie du processus, si l'on peut dire.

Puis un jour, alors que rien ne le laissait présager, une tartine de confiture « a du goût ». Cela ne paraît rien à une personne bien portante. Mais pour quelqu'un qui a passé des mois voire des années dans d'épaisses et engourdissantes ténèbres, cela vaut mille soleils, mille éclats de rire, mille moments de joie condensés en un seul. C'est plus que symbolique : c'est le goût à la vie qui réapparaît.

C'est inestimable, ineffable, ça nous arrache même une larme, car pendant la dépression on est incapable de pleurer. On est à nouveau capable de ressentir, d'éprouver que l'on est vivant !

Je pense que la dépression est une métamorphose, que c'est un phénomène aussi bête que la transformation de la chenille en un papillon plein de vigueur, de malice et assoiffé de vie. le problème, c'est que notre chrysalide ne se voit pas. Notre physiologie n'apparaît pas au grand jour. On ne peut qu'observer le regard terne, le manque d'entrain, la lassitude du dépressif. On pourrait appeler ça un exil interne. Pour ma part, je l'ai ressenti comme ça.

Ceux qui traversent cette épreuve n'ont pas tous la chance d'être bien entourés et, malheureusement, trop nombreux sont ceux qui en viennent à se suicider. Il faut être particulièrement attentif à la santé de ces personnes qui ne sont alors plus elles-mêmes.

Le retour à la surface peut être plus ou moins long. Il peut parfois prendre des années. Lorsque le fond du fond de l'abîme est atteint et que le « ressort » qui permet de s'extirper de cet état lance enfin l'impulsion, c'est une ascension douce, colorée, légèrement grisante et sucrée, pleine d'un foisonnement de sensations à la fois familières et nouvelles qui s'imposent à nos sens. On ressent un élan s'élever pareil à une lame de fond qui vient crescendo ; une effervescence physique et spirituelle, comme les bulles de champagne crépitent en atteignant la surface.

Merci Philippe Labro d'avoir partagé avec nous cette expérience ô combien intime, douloureuse et salutaire. Ce livre est un message d'espoir vis-à-vis de ce syndrome qui ne doit pas être envisagé comme une simple fatalité mais comme la perspective d'un avenir meilleur, d'une renaissance.
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