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Critique de colimasson


Le deuxième séminaire de Lacan, dans la continuité du premier, traitera du moi dans un nouveaux de ses aspects. Alors que les leçons de l'année précédente envisageaient le moi par rapport au transfert, cette nouvelle série de conférences aborde le moi par rapport à l'ordre symbolique en particulier – et donc, par ricochets, par rapport aux ordres qui lui sont nécessairement rattachés, sans la moindre priorité hiérarchique, du réel et de l'imaginaire.


« Un des ressorts, une des clés de la doctrine que je développe ici, c'est la distinction du réel, de l'imaginaire et du symbolique. J'essaie de vous y habituer, de vous y rompre. Cette conception vous permet d'apercevoir la confusion secrète qui se dissimule sous cette notion d'objet. Cette notion d'objet est en effet sous-tendue par la confusion pure et simple de ces trois termes. »


Lacan applique aux textes de Freud la méthode psychanalytique dont il fut le théoricien. « C'est une loi fondamentale de toute saine critique que d'appliquer à une oeuvre les principes mêmes qu'elle donne elle-même à sa construction. » Lacan, analyste du discours freudien, lecteur attentif de Freud, poursuit l'oeuvre de ce dernier en interrogeant les points de butée de son oeuvre.


Bien obligé de s'inscrire dans une tradition philosophique pour se faire comprendre du plus grand nombre, Freud ne put dès l'abord que se risquer à converger vers l'idée commune de l'équivalence du moi et de la conscience. Mais ses travaux se poursuivant, Freud commence à avouer dans ses textes que cette hypothèse ne colle pas aux faits d'expériences.


« Nous nous trouvons là pour la première fois avec cette difficulté qui se reproduira à tout bout de champ dans l'oeuvre de Freud – le système conscient, on ne sait pas quoi en faire. Il faut lui attribuer des lois tout à fait spéciales, et le mettre en dehors des lois d'équivalence énergétique qui président aux régulations quantitatives. Pourquoi ne peut-il se dispenser de le faire intervenir ? Qu'est-ce qu'il va en faire ? A quoi sert-il ? »


Dans le passage de la première à la seconde topique, dans la conceptualisation de l'instinct de mort, en lien avec la répétition, Freud repère un reste qui ne coïncide pas totalement avec le moi. En ce domaine, sa découverte majeure serait de nous apprendre que le sujet est excentré par rapport à l'individu. « Je est un autre » disait Rimbaud. Mais l'autre n'est pas un je – ni un tu. Ici gît la radicalité que Freud a cherché à rendre vivante par la conceptualisation de l'instinct de mort. Radicalité insupportable, bientôt émoussée par l'éternelle notion du moi comme champ de conscience, tendant à résorber le savoir analytique dans la psychologie générale.


« Je est un autre » ne signifie pas seulement que moi pourrait être un autre moi mais que moi fonctionne sous l'emprise d'un radicalement autre. C'est la raison pour laquelle toutes les thérapies comportementales et toutes les psychologies du renforcement de l'ego n'ont qu'un champ d'efficacité réduit, bien que variable selon les personnes. le moi ne peut véritablement modifier les coordonnées à partir desquelles il se situe dans la réalité sans qu'il ne soit percuté par le sens. Porté par l'ordre symbolique, le sens est instinct de mort lorsqu'il n'est pas mais qu'il insiste pour être, et il tend au réel sans s'y confondre.


« Je est un autre » s'enorgueillit le discours dominant, mélange de technolâtrie à visée scientiste et marchande, préférant ignorer la radicalité de cette formule pour servir le renforcement imaginaire des attributs du moi qui, parce qu'il jouit un jour de se penser femme plutôt qu'homme (transgenrisme), surhumain plutôt que mortel (transhumanisme), altruiste plutôt que suiveur (covidisme), continue d'ignorer la loi qui préside aux choix de mauvaise foi, c'est-à-dire à ceux qui dénient nos limitations naturelle (être figé dans un sexe, être mortel, être seul responsable de soi-même). le moi peut aussi être un paquet d'autres conneries dont les incidences sont vénielles et qui participent de l'heureuse folie de ce monde. le moi ne commence à devenir inquiétant qu'à partir du moment où il cesse de se reconnaître comme bouffon pour se prétendre maître du gouvernail. le moi est tout entier pris dans des coaptations imaginaires, dont les mécanismes sont décrits de façon convaincante dans le premier séminaire, le portant à ignorer que « quand je veux du bien à quelqu'un, je lui veux du mal, que quand je l'aime, c'est moi-même que j'aime, ou quand je crois m'aimer, c'est à ce moment précisément que j'en aime un autre ». L'objectif de l'exercice dialectique de l'analyse consister à dissiper cette confusion imaginaire, et de restituer au discours son sens de discours. A ce jeu, « il s'agit de savoir si le symbolique existe comme tel, ou si le symbolique est seulement le fantasme au second degré des coaptations imaginaires. C'est ici que se fait le choix entre deux orientations de l'analyse. »


Tandis que la psychologie vise à intégrer la signification d'un symptôme dans l'imaginaire (relatif au moi), la psychanalyse découvre l'insuffisance de ce procédé en raison de l'inertie propre à la structuration même de l'imaginaire. le rapport du sujet (qui n'est pas le moi) à la réalité se révèle de la déhiscence du moi à travers la relation, dans le transfert, au quasi non-être de l'analyste.


« Tout le progrès de l'analyse, c'est le déplacement progressif de cette relation, que le sujet à tout instant peut saisir, au-delà du mur du langage, comme étant le transfert, qui est de lui et où il ne se reconnaît pas. Cette relation, il ne s'agit pas de la réduire, comme on l'écrit, il s'agit que le sujet l'assume à sa place. L'analyse consiste à lui faire prendre conscience de ses relations, non pas avec le moi de l'analyste, mais avec tous ces Autres qui sont ses véritables répondants, et qu'il n'a pas reconnus. Il s'agit que le sujet découvre progressivement à quel Autre il s'adresse véritablement, quoique ne le sachant pas, et qu'il assume progressivement les relations de transfert à la place où il est, et où il ne savait pas d'abord qu'il était. »


L'homme échappe à l'ordre des machines dites intelligentes dont les messages se constituent d'une série binaire. « Ce qui dans une machine ne vient pas à temps tombe tout simplement et ne revendique rien. Chez l'homme, ce n'est pas la même chose, la scansion est vivante, et ce qui n'est pas venu à temps reste suspendu. » L'homme arrive au monde et s'intègre dans un discours qui le précède et qui le constitue sans qu'il n'en sache la signification, lourd des suspensions des êtres qui auront commencé à le constituer, et qu'il devra poursuivre, poussé par une nécessité qui pourrait n'avoir pas de sens, s'il ne l'interrogeait pas. « Ce qui insiste pour être satisfait ne peut être satisfait que dans la reconnaissance. La fin du procès symbolique, c'est que le non-être vienne à être, qu'il soit parce qu'il a parlé. »
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