C'est la première fois que je passais un entretien annuel posthume et en plus à la place de mon père.
A cet âge, je me forge l'idée à coups de pelle que l'existence c'est des voisins qui décorent des sapins quand d'autres, de l'autre côté de la clôture, tout près, se pendent dans des caves où l'on range aussi des guirlandes et des cordes.
A la fois problème et énigme, la vie offrait, il est vrai mille occasions de vouloir se pendre.
C'est dingue comment, même défoncés par la douleur, pas celle des DRH qui font de la com' mortuaire, on peut arriver, comme mu par un désir absolu de faire péter à la gueule de connards une vérité qu'ils ne reçoivent jamais - parce qu'ils ont le statut qui les en prémunit -, comment donc on peut dire à Frédérique de se barrer, de dégager d'ici vite fait et qu'elle n'a pas intérêt à s'approcher de mon père. Je finis en lui disant sur ce même ton doucereux et ferme dont les boss croient avoir le secret que je n'étais pas son obligée, qu'il n'y avait aucun rapport de subordination entre nous, et qu'ainsi j'avais la chance, à la différence de mon père qui avait dû se taire, lui, de pouvoir très simplement l'envoyer chier. En la regardant se barrer avec son collaborateur qui visiblement avait pris son pied, je levais dans ma tête un poing au ciel que j'adressai à mon père, comme un gros clin d'oeil. Et j'espérais qu'il avait vu, ressenti peut-être, dans son état de solidification calme, la furie de la position du vengé.
On déposera comme chez les anciens, ces Grecs, un bouquet d’asphodèles au tombeau et des volets roulants et on fera un rideau qu'abaissera le monsieur aux clés.