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Critique de Deleatur


Lorsqu'un auteur dont il a refusé le manuscrit se suicide dans son bureau, un éditeur parisien décide de fonder un club des « écriveurs » anonymes. Son objectif : convaincre tous ces ratés de la plume qu'ils sont de grands malades et qu'il leur faut absolument cesser d'écrire des inepties. Et cesser par la même occasion d'envoyer ces choses à des professionnels vrais amoureux de la littérature, lesquels ont quand même autre chose à foutre.
Avec un tel sujet, et de la part de quelqu'un qui est également éditeur chez Gallimard, je m'attendais à de la drôlerie, à de la férocité sans doute, et puis bien sûr à découvrir un point de vue rarement défendu dans les livres, celui de l'éditeur.
Si ce Goncourt des lycéens ne date pas d'aujourd'hui (1999), il m'alléchait d'autant plus que je trouve souvent le choix des lycéens assez conforme à mes goûts. Je me préparais un peu à rire jaune, car j'ai essuyé quantité de refus d'éditeurs avant que mes romans ne trouvent preneur, et j'espérais bien entendu un plaidoyer pour la littérature et ses pouvoirs à peu près infinis.
Bon, inutile de tourner autour du pot : je suis bien déçu. Et je ne m'attendais pas du tout à quelque chose d'aussi, disons, anecdotique.
Pour ne pas dire plat.
''Première ligne'' est donc le roman d'un écrivain/éditeur dont le personnage est un éditeur qui se découvre peu à peu écrivain, et dont le livre s'appellera à la fin ''Première ligne''... La boucle de la mise en abyme est bouclée de façon plutôt ingénieuse, avec un récit où se construit lui-même l'objet-livre que le lecteur tient entre ses mains. J'ai trouvé le procédé intéressant, quoiqu'assez artificiel, et c'est pour cette raison que je suis allé jusqu'au terme de ma lecture.
Pour le reste, le personnage de l'éditeur ne déborde guère d'intérêt ni d'humanité. Il est pour tout dire assez stéréotypé, et on ne saura à peu près rien de sa conception de la littérature car il ne semble pas disposé à en parler, sinon pour railler les manuscrits qu'il refuse. Je veux bien croire que la très grande majorité des textes qui parviennent dans les maisons d'édition manquent d'intérêt et sont mal ficelés. Je veux bien admettre aussi qu'un éditeur peut concevoir de la lassitude ou du découragement face à ce qu'il perçoit comme un océan de médiocrité. Mais il me semble tout de même qu'il se trouve derrière le processus d'écriture autre chose que cet onanisme dérisoire à quoi ce roman veut nous faire croire. Comment en effet nommer autrement l'activité de tous ces écrivains ratés que nous présente Laclavetine ? Il y a par exemple celui qui brandit les « deux tomes de son opus autobiographique : ''Mes hôpitaux'' et ''Tu pourriras'', tableau presque exhaustif des pathologies fin de siècle. L'écriture est peut-être la seule maladie dont il ne guérira pas : il enterrera tous les autres. » Il y a l'auteure d' ''Ôte ton tutu, Tété'', « une femme au physique de hareng saur » qui se délecte des sévices sexuels infligés aux petits rats de l'Opéra, et dont le livre « offre l'originalité de décrire par le menu quatorze représentations différentes de ''Giselle''. » Sans même évoquer les portraits d'autres auteurs : ceux de ''Salsifis !'', ''Vitry, c'est fini'' ou encore ''Tu n'as rien vu à Montceau-les-Mines''... J'ai eu pour ma part quelques difficultés à ne pas voir là-dedans une copieuse dose de mépris de la part de Laclavetine, mais peut-être est-ce un ressenti tout personnel.
Le plus étonnant est que les écrivains choyés et publiés par le personnage de l'éditeur sont tout aussi ridicules que les « écriverons » refusés. Ceux que le roman met en scène sont égocentriques, caractériels, prétentieux, mesquins, et on n'aurait guère envie de se plonger dans leur oeuvre (dont d'ailleurs le lecteur ne saura quasi rien). J'ignore si des auteurs édités par Laclavetine chez Gallimard se sont reconnus dans ces portraits, j'espère pour eux que non.
Cela donne au final un roman sur la littérature et ses faiseurs où absolument personne ne trouve grâce. Rien de beau, rien de grand, rien qu'une sorte de dédain post-moderne assez agaçant. le pompon, c'est quand le personnage de l'éditeur-écrivain achève son manuscrit, et qu'il décide ensuite d'arrêter l'écriture à tout jamais : le pompon, car ce ''Première ligne'' que le personnage central lui-même considère comme un texte médiocre, le voici publié pour de bon chez Gallimard, et on le tient précisément entre ses mains... On le termine quand même, parce que cela se lit sans effort et que ce n'est pas mal fait. Mais on ne peut en effet s'empêcher de penser que le personnage a raison : c'est médiocre.


PS : à la décharge de Laclavetine, il est passé après Tocqueville dans l'ordre de mes lectures. Forcément, ça pique.

PS2 : après un pareil billet, je ne sais pas s'il est encore très utile d'envoyer mon prochain manuscrit chez Gallimard... Pas grave, je suis certain que plein d'autres éditeurs s'arracheront bientôt ''Passion à marée basse'', une audacieuse tétralogie de 1300 pages qui transpose la tragédie de Roméo et Juliette chez les bigorneaux et les moules de bouchot.
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