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Citations sur La nuit recomposée (5)

Pris la main dans le sac. Ce que je désirais le plus au fond, qu’une personne très proche fasse le boulot pour moi. Après trois mois de relation clandestine, j'ai quitté Esther qui venait de lire ce mail sur mon ordinateur, et moi sur mon portable alors que je venais de me disputer avec Alexia deux heures auparavant, dans ce qui deviendrait désormais notre modus vivendi. La technologie a ses petites accélérations, higger than life, comme disent nos cousins d’outre-Atlantique.
J'ai tout avoué, je ne pouvais plus reculer, tout allait trop vite, mes actes précédaient ma pensée. J'étais littéralement assujetti à Alexia, à son corps, à son insolence qui promettait une autre vie, moins bourgeoise, plus «artistique », loin du train-train quotidien. Cette relation mettait le doigt sur un complexe de classe en rapport avec mon milieu. J'étais fasciné par ses origines modestes. Mon alliance avec elle devait me libérer de mes chaînes, la famille, le confort, les biens d’Esther — que j'affronte enfin la réalité sociale pour devenir moi-même, un artiste, un vrai, un pur, un grand. La désillusion avec Alexia, je l'ai sentie dès le début, mais c’est précisément ce qui m'excitait et guidait mes actes intempestifs. Après mon coma, j'avais besoin d’une drogue forte, d’un événement qui me rapprocherait de la mort que j'avais frôlée. p. 93
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À quoi tient la vie?
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Depuis la trahison de Jack et peut-être même depuis mon accident, jouer la comédie m'indiffère, je suis en retrait, en rejet. J'ai cessé d'amuser la galerie comme je pouvais le faire auparavant lors des répétitions, le plaisir du jeu sur scène m'a quitté. Le traumatisme est tel que tout me semble vain: mes camarades, si fades, le décor, les costumes très laids, sans parler de la musique et de la lumière qui frisent la ringardise absolue — le Don Giovanni de Mozart en bande-son, le tout dans une pénombre générale, à peine si l’on distingue les comédiens. Le sentiment d’incompréhension persiste. p. 39
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Prologue
Je suis allongé sur un banc de sable par trente mètres de fond.
Mon corps subit une pression hydrostatique importante, un massage puissant de tous les muscles ; mes poumons ont la taille de deux oranges sanguines, mon squelette est sous le joug du courant, un mouvement incessant, un rouleau à pâtisserie. Le sel devient concret. Avant je disais la mer est salée sans savoir de quoi il retournait. Ce matin, c’est différent, le sel existe – Dieu aussi, et il exerce sa pression sur tous les pores de ma peau.
Le ciel n’est plus le ciel, c’est une armure noire, elle se déploie immense. Des comètes dorées viennent s’écraser sur mon visage fripé par les profondeurs ; j’ai la tête d’un nouveau-né.
La sensation de bien-être est totale. Je quitte le quotidien pour d’autres horizons, c’est un nouveau départ et c’est excitant. Une daurade vient à ma rencontre et me salue d’un clin d’œil. Cette familiarité indique qu’elle me connaît, elle délivre son
message : le temps est élastique, il faudrait peut-être remonter.
Maintenant.
Comment en suis-je arrivé là ? C’est la question des hommes qui touchent le fond et sont surpris lorsque le fond se dérobe à nouveau sous leurs pieds. Art de la chute, art de la fuite. Les poignets attachés, le souffle court, je repose sur un brancard depuis trois quarts d’heure déjà. La sirène, le bruit du moteur dans la nuit, le tube dans la gorge, les hommes autour qui s’agitent, ne sont qu’une seule et même question : veux-tu vivre ou mourir ? Simple et direct, sans arabesques ni coquetterie, la vie me demande si je jette l’éponge, si j’abandonne ou si j’ai la force de revenir, un peu comme un boxeur crucifié dans les cordes, dont on se demande s’il va pouvoir tenir, s’il ne va pas craquer sous la déferlante de coups.
Je suis dans le coma et je viens d’arriver aux urgences ; il est quatre heures du matin et il fait très froid ce 21 novembre.
Rapidement pris en charge par le personnel hospitalier, harnaché d’une armée de cathéters, je suis intubé jusqu’au fond de l’aorte. Une sonde dans le sexe me signifie que je suis à l’hôpital – gagné, je suis arrivé à destination. La sonde dans le sexe, c’est la réalité, la chaîne du chien dans un refuge : je n’irai pas plus loin, ne sortirai plus, la comédie est finie.
Tu as entendu l’infirmière railler la taille de ton sexe lorsqu’il a fallu enfoncer la sonde dans l’urètre ? Ou n’était-ce qu’une hallucination auditive, l’expression d’un complexe masculin, ta virilité malmenée dans une situation embarrassante – nu devant des étrangères, du vomi plein les bronches, un pronostic vital engagé, et une hypothermie à trente-quatre sept ?
Je prie les dieux de m’accorder la délivrance de ma pénible veille… Eschyle flotte dans ma tête, mots et mantras contre le mauvais œil. Eschyle est un ami de longue date, toujours présent dans les moments délicats. Cette nuit encore je guette le signe du flambeau, l’éclair de feu apportant la nouvelle et l’histoire de la prise de Troie.
On m’a installé au cinquième étage, aux soins intensifs, sur un lit barricade. Mes bras aux veines saillantes sont parsemés d’aiguilles. Je suis recouvert d’un drap vert pâle. Mes cheveux sont noir électrique et ma peau est si blanche qu’elle scintille dans la pénombre. Mon corps, c’est une planche d’anatomie, un danseur que Rodin a croqué rapidement au fusain, une adolescence grecque qui persiste malgré mes quarante et un ans.
Les tuyaux qui m’assistent et les pulsations sonores finissent de donner un air futuriste au tableau – je suis à l’hôpital, le Messie est revenu.
Il a fallu me déséquiper, j’ai vomi à plusieurs reprises. C’est une opération qui demande du métier. L’anesthésiste en chef a fait son travail, intuber, détuber, puis intuber à nouveau, les infirmières m’ont nettoyé plusieurs fois. C’est douloureux mais je ne sens plus rien, je suis dans un autre monde, plus bas, beaucoup plus bas. L’hôpital le froid les médecins l’infirmière le Samu le tube dans la gorge la sonde dans l’urètre le jour qui se lève, peut-être n’est-ce qu’un rêve – un rêve pour distraire
la mort, la retarder en chemin, lui raconter l’histoire d’une vie, l’histoire d’un souffle.
La réalité se dilate, l’imaginaire prend la barre et m’offre plusieurs chemins, je n’en choisis aucun.
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Prologue
Je suis allongé sur un banc de sable par trente mètres de fond. Mon corps subit une pression hydrostatique importante, un massage puissant de tous les muscles ; mes poumons ont la taille de deux oranges sanguines, mon squelette est sous le joug du courant, un mouvement incessant, un rouleau à pâtisserie. Le sel qui devient concret. Avant je disais la mer est salée sans savoir de quoi il retournait. Ce matin, c’est différent, le sel existe – Dieu aussi, et il exerce sa pression sur tous les pores de ma peau.
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