Je singe mon enthousiasme et ma joie d'autrefois, la vie sociale l'exige, et je passe aux yeux des autres pour quelqu'un d'heureux. Rien de plus facile, d'ailleurs : les yeux des autres ne voient que ce qui les arrange.
On ne peut ni recommencer ni refaire sa vie, avec ce qu'elle est et a été il faut poursuivre, découvrir au fond de soi le silence et l'avenir ouvert, la richesse du monde, le travail à accomplir, les valeurs à défendre. Mais il arrive que l'on retombe dans les mêmes impasses, se heurte aux mêmes murs (...). (p. 80)
J’ai retrouvé dans la banlieue de Bruxelles cette petite place plantée de tilleuls autour de laquelle les maisons basses aux toits d’ardoise, aux façades de brique rouge, ressemblent à des ouvriers rougeauds coiffés de bérets venus partager un repas dominical.
Avec l’âge, j’étais devenue fière, le monde dans lequel nous vivions l’exigeait, les tendres ne survivent guère ou alors, barricadés.
Comment faire pour ne pas oublier sans vivre hanté par le souvenir ? C'est vers ce juste milieu que désespérément je tends, sans y parvenir encore.
Parce que c'est vers ce juste milieu qu'il faut tendre.
Parce que l'oubli est le terreau de la répétition, et la hantise un souvenir de mauvaise qualité, car trop douloureux pour ne pas inciter à l'oubli.
Nous devrions nous méfier des peuples martyrs et surtout nous garder d'en fabriquer, ils ne servent que d'alibis à la haine et alimentent le cercle vicieux de l'histoire en permettant aux vivants de rejeter la responsabilité de leurs crimes sur les ancêtres de leurs ennemis.