Je n'avais pas cessé d'être vierge, mais on s'habitue à tout - ou, pour être plus précis, on s'habitue à ne s'habituer à presque rien.
On ignore à quel point les lieux où l'on a grandi nous façonnent jusqu'au moment où l'on y retourne comme si l'on était mort. Le corps et l'esprit retrouvent l'espace familier, mais ils ont changé. (...) Vous êtes entièrement chez vous et vous êtes un étranger.
La vanité adoucit l'incommodité.
(...) les victimes n'habitent pas le court terme dans lequel prospèrent les hommes de pouvoir contemporains.
La pudeur, l'orgueil, le stoïcisme ? Autant de vertus célébrées que je crois avoir suffisamment pratiquées pour en sentir les limites, l'ambiguïté, et à quel point elles permettent au monde d'oublier la souffrance de ceux qu'au prix de leur silence il prétend respecter.
Il n'est pas facile de remettre les deux pieds sur la rive des vivants. Je devais imaginer une suite que mon corps et ma conscience refusaient.
L'amitié, dans la chambre, ne s'opposait pas à la solitude régénératrice : elle en sculptait les contours et la fortifiait. Le temps perdu luttait contre le temps interrompu.
Ce sont ceux qui vont mourir qui ne dorment pas. Pour les autres, l'enfer existe, il les tient éveillés et la culpabilité est, comme on dit pour les otages, preuve de vie.
La patient est un vampire, ai-je dit, et il est égoïste : je n'avais que très peu à offrir, à donner, toutes les réserves étaient prises par le combat mental et chirurgical.
(...) l'attentat crée une chaîne de souffrances subites, communes et particulières, où chaque ami de la victime semble soudain marqué, comme du bétail, au fer rouge : le viol est collectif.