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EAN : 9782072689079
512 pages
Gallimard (19/04/2018)
4.06/5   2530 notes
Résumé :
«Je me souviens qu’elle fut la première personne vivante, intacte, que j’aie vue apparaître, la première qui m’ait fait sentir à quel point ceux qui approchaient de moi, désormais, venaient d’une autre planète – la planète où la vie continue.»

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était dans les locaux de Charlie Hebdo. Les balles des tueurs l’ont gravement blessé. Sans chercher à expliquer l’attentat, il décrit une existence qui bascule et livre le réci... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (438) Voir plus Ajouter une critique
4,06

sur 2530 notes

Je ne lis pas de témoignages. Si j'ai souhaité lire le lambeau, c'est uniquement parce que je savais que ce texte avait une dimension littéraire. J'ai besoin du filtre de l'art pour m'intéresser au réel. Cela dit, je n'ai jamais pensé que l'art rendait le réel supportable. Bien au contraire. Au fond, ce que je recherche, c'est une lecture, une interprétation de ce réel à l'aune des événements vécus. Quels qu'ils soient. le monde doit se trouver incarné, sans cela, il ne m'intéresse pas.
J'ai donc commencé à lire le lambeau. J'ai peu dormi la première nuit. Je n'arrivais pas à me débarrasser de l'état de stupeur dans lequel le récit m'avait plongée. J'en parlais à des amis. Ils m'assuraient qu'eux ne liraient jamais ce texte. Je voulais aller jusqu'au bout mais j'avoue que les cent premières pages furent terribles. J'ai craint de ne pouvoir poursuivre.
J'ai eu alors l'idée de « croiser » le lambeau avec un autre texte que je possédais et que je n'avais pas encore lu : À contre-courant d'Antoine Choplin. C'est le récit d'une marche le long de l'Isère, de son point de confluence avec le Rhône jusqu'au glacier où elle prend sa source.
J'aime cet auteur, il m'est très familier, je me sens, avec lui, sur la même longueur d'onde. Dans ce récit, il raconte sa marche qu'il rattache à l'acte d'écrire, commente le paysage et les lumières changeantes qui l'enchantent.
J'ai donc, lâchement peut-être, régulièrement, c'est certain, abandonné Philippe Lançon dans sa chambre d'hôpital pour progresser auprès d'Antoine Choplin sur les sentiers longeant l'Isère.
Et en fait, contrairement à ce qu'on peut imaginer, plus j'avançais dans le livre de Philippe Lançon, moins je ressentais la nécessité de m'en échapper.
Était-ce parce qu'on allait vers la « cicatrisation des plaies », vers la « guérison » ?
Non, pas du tout.
Si je restais auprès de Philippe Lançon, c'est uniquement parce qu'il s'était tellement mis à nu que dorénavant, par extraordinaire, rien de ce qu'il disait ne m'était étranger, à moi qui n'avais évidemment jamais rien vécu de semblable. Car au fond, au-delà des événements dont il est question (ai-je le droit de dire « au-delà » dans la mesure où ils sont de l'ordre de l'expérience fondatrice, à l'origine même de ce qu'est devenu l'auteur), c'est la capacité même qu'a Philippe Lançon de se mettre à nu qui m'a saisie. Après de tels événements, on ne peut plus mentir ou se mentir. de la même façon, on fuit les paroles inutiles, le jeu social. Bas les masques. On est au-delà de la mascarade. Comme il le déclare à Proust dans une vigoureuse interpellation : «Mais arrête de jouer au plus fin, tu ne sais pas de quoi tu parles dans ta cage dorée, il te manque quelques degrés dans l'échelle du désastre pour arriver au moment où, sans être artiste, on ne ment plus ! »
Donc, plus je découvrais toute l'humanité de cet homme nu, parlant avec une sincérité absolue, moins je souhaitais le quitter. Non seulement je comprenais ce qu'il disait, mais il devenait un ami : je pleurais à l'évocation de sa douleur et de ses peurs (que faire d'autre?), j'avais envie de serrer dans mes bras et de consoler le petit garçon qu'il était redevenu, parfois même, je dois l'avouer, il m'exaspérait.
Tout en comprenant ses peurs, j'aurais aimé l'entraîner sur les bords de l'Isère, auprès d'Antoine Choplin, le sortir de là. Je les imaginais tous deux marchant et devisant sur l'art, goûtant ici et là l'envolée majestueuse d'une grue ou le spectacle des pentes escarpées d'une montagne.
C'est donc un homme nu que j'ai rencontré dans le lambeau, un homme comme on a rarement la possibilité d'en rencontrer, un homme, comme dirait Rousseau dans le préambule de ses Confessions, « dans toute la vérité de la nature » (même si Rousseau, on le sait, ne s'est pas gêné pour arranger cette nature, mais y a t-il rien de plus humain que cela ?)
Les Confessions s'ouvrent en effet sur une épigraphe tirée de la Satire III du poète latin Perse : « Intus, et in cute » (intérieurement et sous la peau). Il m'a semblé que, autant Rousseau échouait dans son projet de se révéler (mais on lui pardonne, on l'aime tellement), autant Philippe Lançon jouait le jeu - peut-être, sans en avoir vraiment le choix : « comment pourrais-je créer la moindre fiction alors que j'ai moi-même été avalé par une fiction ? »
Il lui fallait, afin de ne pas rester seul sur sa rive et rejoindre lentement le monde de ceux du dehors, analyser le nouveau rapport qu'il allait entretenir avec les autres en tentant de trouver un chemin qui ne pouvait passer que par une introspection, une réflexion vraie et sincère sur ce que les événements avaient fait de lui.
En effet, Philippe Lançon raconte la façon dont il a vécu cette rupture entre le monde d'avant et celui d'après, sa volonté de se protéger du monde du dehors et de rester, sans télévision ni radio, confiné dans sa chambre-cocon de l'hôpital « la chambre était mon royaume et nous y vivions hors du temps », avec une déesse veillant sur lui : sa chirurgienne Chloé, ses anges infirmières et ses gardes armés. Serge, l'infirmier anesthésiste, capable de trouver la veine où piquer et l'infirmière surnommée « La Marquise des anges » assez douée pour refaire clandestinement le VAC (Vacuum Assisted Closure) prennent dans la vie de l'auteur les premières places. le reste du monde est ailleurs, ce sont des étrangers.
Le jour de la grande marche, Philippe Lançon « n'est pas Charlie, [il est] Chloé ».
Quant aux autres, il s'en protège. « La vérité était que tout ce qui n'était pas présent dans cette chambre, là, sous mes yeux, s'éloignait. Je n'attendais rien de ceux qui n'étaient pas là. » « J'avais tissé mon cocon de petit prince patient, suintant, nourri par sonde et vaseliné autour d'un frère, de parents, de quelques amis et des soignants. Je ne voulais plus sortir du cocon, je m'en sentais incapable. La seule idée de quitter l'enceinte de l'hôpital m'effrayait. Ce n'était pas le lieu où j'étais tout-puissant ; c'était le lieu où mon expérience était vivable. »
Il fallait écrire pour dire la douleur, la souffrance, ne rien oublier de ce qui avait été vécu avant, récupérer tout ce qui était récupérable. Les souvenirs, les voyages, les rencontres. Les objets aussi. Si le téléphone portable, le petit sac noir, le bonnet rouille et le vélo vert étaient définitivement perdus, Blue note, le gros livre de jazz, serait retrouvé, abîmé, certes, mais là, et les souvenirs du monde d'avant reviendraient eux aussi, par bribes, pièces isolées d'un immense puzzle impossible à reconstituer à l'identique mais dont les bords finiraient un jour ou l'autre par coïncider, plus ou moins.
De toute façon, l'homme avait changé.
Le monde aussi d'ailleurs, et ce qui faisait rire une bande de grands potaches facétieux devenait presque tabou.
C'était comme ça.
Maintenant, tout ce qui serait vécu par l'auteur n'aurait de sens que par rapport à cette « expérience » terrible à laquelle il lui faudrait trouver un sens. Pas la comprendre. Comment peut-on comprendre l'incompréhensible ? Non, comprendre l'implication qu'elle aurait dans sa vie, l'orientation qu'elle lui donnerait. « Ce qui échappe à mon expérience, ce qui ne peut être traité par elle, ne m'intéresse pas : je n'ai rien à dire ni à penser de ce que je ne peux directement éprouver et décrire. »
Et un jour, peut-être, finir par l'accepter comme faisant partie de soi.
J'ai rencontré un homme. Désormais, rien de ce qu'il dit ne me fait plus peur.
Sa voix va me manquer comme celle d'un ami avec lequel on a passé du temps et qui a fini par rentrer chez lui. Je chercherai maintenant cette voix dans la presse, j'aimerais pouvoir la retrouver aussi dans la littérature et qu'il me parle encore de ses voyages, de ses lectures, des expos qu'il visite avec la sincérité, la sensibilité et la magnifique écriture qui est la sienne.
Ce serait bien de cheminer de nouveau à ses côtés.
Et de le retrouver.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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" J'ai substitué à l'ineffaçable de la cicatrice l'effaçable , le raturable de l'écriture " disait Michel  Foucault- que Philippe Lançon cite dans le Lambeau. 

Mais ce faisant, rajoute Philippe Lançon : "comment faire pour ne pas devenir "vendeur " de cette expérience? Comment ne pas l'utiliser comme un hochet, une marque, un produit d'appel ou un signe de reconnaissance, mais au contraire pour la détacher de moi-même ?  La seule solution était non pas de rabâcher cette expérience, mais d'isoler ce qui, en elle, prenait forme, jusqu'à en déposséder celui qui l'avait vécue- ou subie" .

L'expérience dont il parle, chacun la connaît,  elle nous a tous ébranlés,  secoués,  ravagés,  mais Lançon est un des seuls, avec deux malheureux collègues de Charlie , à l'avoir éprouvée dans sa chair- et ce sont les termes qui conviennent, car la chair ici n'est pas une métaphore- : il s'agit du massacre de l'équipe de rédaction de Charlie le 7 janvier 2015 par deux fanatiques allumés que, comme Lançon, je ne nommerai pas.

Je n'aime pas les livres qui reviennent sur des faits violents et raniment vainement  les peurs, les angoisses, les haines. Je me méfie des témoignages, plus utiles à  ceux qui les écrivent qu'à ceux qui les lisent,  rarement bien écrits et n'offrant, trop souvent, qu'une vue courte sur l'événement, et une  réflexion peinant à  en dégager la portée individuelle... sans parler d'un sens collectif.

On l'aura compris à ce préambule déminant d'emblée  les préventions qui pourraient être les vôtres, comme elles ont été les miennes:  le Lambeau ne se chauffe pas de ce bois racoleur ou sensationnel. 

Il est remarquablement écrit, pensé. Il va à l'essentiel, tout le temps, patiemment,  urgemment.  Il est d'une force , d'une authenticité, et d'une puissance que j'ai rarement lues.

Il faut le lire parce qu'on en sort réparé. Nous - et surtout lui, Philippe, le survivant.

Réparer le survivant, pour parodier un titre célèbre.

Réparer le temps, réparer le lien entre des mondes qui semblent, après l'attentat,  définitivement disjoints. Réparer  la mémoire. Réparer le coeur.

Réparer le corps.

Réparer le lecteur aussi, accessoirement, tout secoué par sa lecture.   Retrouver un sens et même un sens commun à cette épreuve individuelle unique et particulièrement barbare.

 Même si le parcours n'a rien d'une balade de santé, c'est bien de santé qu'il s'agit.

De greffe, suite à  une vraie "blessure de guerre" , d'un morceau de son propre péroné "habillé" d'un "lambeau" prélevé sur la cuisse , pour remplacer le trou béant de sa mâchoire arrachée par les balles. Lecture difficile aux âmes sensibles. La quatrième de couv', très  cash, donne le ton.

 Comme la plupart des autres lecteurs, passé le début, que j'ai lu d'une traite-  un compte à rebours  terrible, haletant, à la fois fractionné, fulgurant  et fonçant inexorablement vers son issue fatale et connue de tous, après ce début, donc, j'ai dû  prendre, littéralement, mon mal en patience.

Ou plutôt  le sien : 17 opérations et trois mois de séjour à la Pitié -Salpêtrière,   au service de stomatologie de Chloé, chirurgienne et fée marraine de son nouveau visage et de sa nouvelle vie. Suivis de sept mois en rééducation à l'hôpital des Invalides,  sous la tutelle de Denise grimacière de génie!

Deux hôpitaux parisiens. Deux havres hors du monde. Deux repaires pour se refaire.

 Cette partie-là du livre , la plus longue, je n'ai pu la lire qu'à petites avancées, à la fois sidérée et fascinée, dans une souffrance physique et morale que j'ai rarement éprouvées. 

Mais quel hommage , quelle déclaration d'amour et de confiance à notre système de santé et à  notre médecine hospitalière publique si critiquée! Quel message d'amitié, quel abandon , quelle confiance de ce "patient" qui jamais n'a si bien mérité son nom dans ceux qui, avec obstination, acharnement, compétence, le soignent!

Desormais, Philippe Lançon n'est plus pour moi un nom d'auteur. C'est quelqu'un que j'ai le sentiment de connaître. Je sais ses souffrances, ses doutes, ses sensations,  ses peurs. Je connais ses amis, ses maîtres, sa famille...

J'ai fait aussi, grâce à lui, quelques découvertes fondamentales.
 
- Que la médecine d'urgence, la chirurgie réparatrice est un sport de combat et que ses héros sont les chirurgiens, mais aussi les panseuses- Notre Dame des Langes!- les infirmièr(e)s de jour, de nuit, les brancardiers, les ambulanciers,  les filles de salle, tous sont d'un extraordinaire dévouement et s'ils acceptent de faire ce métier et y mettent tant de passion souvent pour un si piètre salaire c'est qu'ils se savent partie prenante d'une aventure humaine qui, en redonnant  vie à leurs patients, donne du sens à leur vie. Que ce sont là de beaux métiers et de belles personnes.

- Que se reconstruire est une longue patience et demande courage, exigence, lucidité, mais aussi  humilité et confiance. Et qu'elle se nourrit et se conforte d'amitiés- la présence efficace, tendre et fidèle du frère de Philippe à ses côtés m'a beaucoup touchée.

- Que les policiers peuvent être des anges gardiens, grands lecteurs et d'une vigilance de nounou.
 
- Que la culture est un antidote puissant contre le découragement, la perte, les déchirures dans le tissage fragile de notre temps humain.

-Qu'on peut rire de soi avec Kafka, apprivoiser le réel avec Thomas  Mann et relire 17 fois la mort de la grand-mère chez Proust -17 fois!..autant de fois que Philippe Lançon est descendu sur le  "billard"- qu'on peut même se permettre d'engueuler gentiment cette choutrelle de Marcel qui parle si bien de la douleur et l'a si peu éprouvée. 

-Qu'on peut retrouver l'envie de retourner dans le monde des vivants grâce à la gueule  fraternelle et monstrueuse des bouffons de Velasquez et qu'un air de Herbie Hancock est un viatique réconfortant qui vaut toutes les doses de calmant...à l'exception de Sister Morphine...mais en bien moins dangereux!

- Qu'il y a un vrai salut dans l'écriture,  ..et que c'est bon à savoir pour "celui qui n'y croyait pas", comme disait Aragon en parlant du ciel.

J'aurais encore mille choses à dire sur ce très grand livre.

Je dis juste, encore une fois : merci, Philippe.  Je t'aime.
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Là je me suis dit « As-tu vraiment envie de lire ça ? »
Une "chronique chirurgicale" de 500 pages.
Un parcours de plusieurs mois entre blocs opératoires, chambres d'hôpitaux et salles de rééducation.
Le point de départ d'une reconstruction, celle de l'auteur lui-même, chroniqueur pour Charlie Hebdo, miraculeux rescapé d'un certain 7 janvier… une partie du visage dévastée par les balles de kalachnikov.

« Ouchhh… t'as vraiment envie de lire ça ? »

C'était sans compter le pouvoir de persuasion de ceux qui m'ont prêté ce bouquin (merci les copains), et en dépit de l'évocation injustement réductrice que je viens d'en faire, "Le lambeau" n'a rien de voyeur ou rébarbatif, bien au contraire. Rythmé bien sûr par le concret des étapes chirurgicales, ce texte incroyable n'en révèle pas moins et surtout le bouleversant périple intérieur de son auteur.

Il y a tant à dire sur ce récit hors normes. Sur la délicatesse de l'hommage qu'il rend au personnel soignant. Sur cette lumière intime de l'art qui sauve, musique et littérature qui sans trêve soutiennent le fragile survivant sur son chemin de résilience. Sur l'intelligence, la douceur et la dignité de ses réflexions pourtant lucides ou de ses divagations sous antalgiques. Et sur les mots justes et puissants qui domptent l'enfer pour mener au mieux cette construction d'un ouvrage sur la reconstruction d'un visage.

Je n'irai pas plus loin. Ceci est un grand, très grand bouquin.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Philippe Lançon, parce qu'il l'a vécue dans son corps et à la vue de celui de ses amis, victimes des balles terroristes, qu'il y met des mots, beaucoup de mots (trop parfois) qui ne peuvent que faire sens, nous confronte à sa souffrance, à la souffrance, sans échappée ni mise à distance possibles. Car ici l'homme se met à nu pour raconter. L'indicible violence de l'attentat, et sa peur. La mort de ses camarades devenue obsession. Sa reconstruction longue et difficile, aidé de ceux qui l'ont soigné et soutenu sans faille.

Une introspection obsédante, angoissante, traumatisante, qui nous met face à une réalité que l'on préfèrerait tenir éloignée. de peur d'avoir peur, de voir la menace du monde prendre le pas sur l'insouciance et la légèreté bienfaisantes de nos vies. Remettant les pendules à l'heure des valeurs vraies dont on s'éloigne pour des motifs futiles, une introspection dont la sincérité et la puissance lui confèrent le pouvoir de nous atteindre, individuellement.

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De l'intime à l'universel, car ce récit bouleversant nous ramène à notre fragilité , filigrane qui se laisse oublier si souvent dans le tourbillon de nos occupations aussi indispensables que dérisoires.

Les attentats nous ont tous atteints, par leur injustice, par la profonde débilité d'exécuteurs sous influence, par ces vies brisées pour rien.

Philippe Lançon, c'est Libé, c'est Charlie, c'est une carrière brillante, et un talent d'écrivain, maintes fois attestés par de prestigieuses récompenses.

C'est aussi un matin de janvier, de ceux pour lesquels on se souvient de ce que nous étions en train de faire. Les jambes noires sont venues accomplir leur tâche morbide, nous privant à jamais d'une bande de trouble-fêtes particulièrement nécessaires dans une société toujours plus bâillonnée.

Le propos n'est pas le pardon, ou l'absence de pardon. C'est une magnanimité ou une rancoeur inutiles. de ces ombres massacrantes, ne subsistent des cauchemars et des angoisses lorsque la configuration des lieux rend l'irruption possible. C'est le parcours d'un survivant, miraculé, mais ô combien atteint dans sa chair et dans son esprit. Trois mois de supplices pour la bonne cause dans un service de stomatologie qui doit inventer pour reconstruire ces plaies de guerre, là où la routine rafistole les séquelles des cancers. le doublement patient subit de nombreuses interventions, dans un univers qui lui deviendra familier et dont il adoptera jusqu'au lexique, et constate l'impact de ce drame sur sa place et son rôle que ce soit dans une sphère privée ou professionnelle. Au-delà du journaliste reconnu, c'est en tant que victime que l'on s'adresse à lui.

C'est l'occasion d'une vibrant hommage aux équipes hospitalières, dont il saisit les limites humaines et celles que créent les restrictions budgétaires. Mais jamais malgré la douleur, la dépendance , les échecs, jamais il n'y aura d'hostilité dans les propos. Au contraire.

Le propos est dramatique, mais le ton général est loin d'être plaintif. Il s'agit avant tout de se reconstruire, au propre comme au figuré, sans s'éterniser sur un passé qui de toute façon ne demande pas la permission pour surgir au moment le plus inopportun, ni de se projeter dans un avenir incertain. Chaque jour se nourrit de ses échecs ou s'illumine de ses succès.

Deux alliés fondamentaux accompagnent Philippe Lançon de la chambre au bloc , en passant par les couloirs : Bach et la littérature, restreinte essentiellement à Proust, et Kafka :

« Bach et Kafka : l'un m'apportait la paix et l'autre une forme de modestie et de soumission ironique à l'angoisse. »

Lecture indispensable.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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critiques presse (10)
Lexpress
17 juillet 2019
Le Lambeau, récit d'une douceur bouleversante, dont la grâce littéraire et l'universalité ne cessent d'emporter le cœur des lecteurs.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LeFigaro
28 décembre 2018
Gravement blessé au visage, il évoque, sans larmoiement, greffes de peau et opérations, douleurs, cicatrices, prothèses, rééducation
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaPresse
19 décembre 2018
Lançon propose une réflexion profonde sur ce qu'était alors devenu Charlie Hebdo, sous surveillance policière depuis l'affaire des caricatures de Mahomet, aux graves conséquences.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeDevoir
17 décembre 2018
De la veille de cet événement sans fin jusqu’à l’attentat du Bataclan le 13 novembre de la même année, l’auteur nous raconte sans jamais laisser voir de colère son « petit Golgotha hospitalier », faisant avec pudeur et précision le récit de sa vie avant, pendant et après. Un témoignage bouleversant et un exorcisme ultrasensible.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Lexpress
18 juillet 2018
"Un livre comme il n'en a jamais existé", "d'une grande sincérité", "extraordinaire", "capital", "puissant, dense, éprouvant", "intimiste, profond", d'"une sensibilité et une humanité inouïes" ; "un récit intense", "un magistral journal de deuil", "un chef-d'oeuvre indiscutable, absolu"...
Lire la critique sur le site : Lexpress
LePoint
04 mai 2018
« Ne vous fatiguez pas à lire des livres cette année […], donnez le Goncourt au Lambeau, le plus grand livre de l'année ! »
Lire la critique sur le site : LePoint
LePoint
26 avril 2018
Dans « Le Lambeau », le journaliste et écrivain rescapé de l'attentat de « Charlie Hebdo » fait de la littérature une assistance respiratoire.
Lire la critique sur le site : LePoint
LaLibreBelgique
24 avril 2018
Philippe Lançon, survivant de la tuerie à "Charlie Hebdo", "gueule cassée", raconte sa lente remontée à la vie. Un an, 17 opérations, un récit splendide de ses sentiments.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LaCroix
23 avril 2018
Grièvement blessé dans l’attentat terroriste contre le journal satirique, Philippe Lançon livre un récit impressionnant de l’attaque et de l’enfer qui a suivi
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
12 avril 2018
Philippe Lançon, miraculé de l’attentat contre « Charlie Hebdo », raconte dans « Le Lambeau » ce qu’il a vécu depuis janvier 2015. Magistral.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (560) Voir plus Ajouter une citation
Je me suis peu à peu mis sur le côté, puis redressé et adossé au mur, assis par terre, face à l'une des entrées . J'ai passé la main sur mon cou et je me suis aperçu que mon écharpe était toujours là,mais trouée . Devant moi il y avait presque sous la table le corps de Bernard et, juste à côté, dans le passage et sur le dos,celui de Tignous . Je n'ai pas vu sur le moment ce que le rapport de police, lu dix-huit mois plus tard, m'a révélé : un stylo restait planté droit entre les doigts d'une main,en position verticale .Tignous était en train de dessiner ou d'écrire quand ils ont fait irruption . Les enquêteurs ont noté ce détail, qui indique la rapidité du massacre et la stupeur qui a précédé l'exécution de chacun d'entre nous . Tignous est mort le stylo à la main comme un habitant de Pompéi saisi par la lave, plus vite encore, sans même savoir que l'éruption avait eu lieu et que la lave arrivait,sans pouvoir fuir les tueurs en disparaissant dans le dessin qu'il était en train de faire . Tout dessinateur dessinait sans doute pour avoir le droit de s'en aller dans ce qu'il dessinait, de même que tout écrivain finissait par se dissoudre, pour un temps, dans ce qu'il écrivait . Cette dissolution n'était pas une garantie de survie ni même de qualité, mais elle était une étape nécessaire sur le chemin qui pouvait y conduire . Cette fois, non seulement ce droit à la dissolution avait été refusé aux dessinateurs, mais il était arrivé exactement l'inverse : on les avait fait entrer de force dans un dessin qu'ils n'avaient pas imaginé,une idée noire de Franquin, et ils n'en étaient plus sortis . Si les tueurs étaient des possédés, mes compagnons morts étaient les dépossédés ? Dépossédés de leur art et de leur violente insouciance, dépossédés de toute vie . Quand Salman Rushdie avait été victime de la fatwa de l'ayatollah Khomeyni, l'écrivain V.S. Naipaul avait refusé de le soutenir en disant qu'il ne s'agissait,après tout, que d'une forme extrême de critique littéraire . Son sarcasme, beaucoup plus inspiré par son mauvais caractère et une critique désagréable que Rushdie avait faite de l'un de ses livres que par une sympathie qu'il n'éprouvait pas pour les musulmans, ce sarcasme n'était pas dépourvu de sens : toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique . La forme la plus extrême ne pouvait être exercée que par des ignorants ou des illetrés, c'était dans l'ordre des choses, et c'était exactement ce qui venait d'avoir lieu : nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu .
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J’ai regardé ce regard à peine rougi, amical, moins protégé soudain, et j’y ai trouvé la force de raconter pour la première fois l’attentat aussi précisément que possible, mais comme une scène de comédie. Il ne s’agissait pas uniquement de recevoir ces gens debout et de faire belle figure, mais aussi de les divertir en les informant, comme Laurent et quelques autres me l’avaient appris. D’ailleurs, l’attentat avait aussi été une scène de théâtre, un dramolet, et le serait en partie resté si les tueurs avaient utilisé, tout en récitant de travers quelque sourate du Coran, des pétards ou des balles à blanc. La mort était une conclusion qui ne devait pas nous empêcher de rire du comique de situation qui l’avait précédée.
J’allais du regard de Laurent à celui de François Hollande et ces deux hommes si souvent vilipendés, à cet instant, dans cette chambre, avec leurs légers sourires, avec l’émotion contenue de l’un et la lueur bienveillante et primesautière de l’autre, m’ont affermi, rassuré et comme retrempé dans ce que je pouvais attendre de la civilisation : une distance curieuse et courtoise, sensible à l’autre sans excès d’émotivité, une compassion qui ne renonce ni aux besoins de la légèreté, ni aux bienfaits de l’indifférence.
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C’est alors, ouvrant les yeux, j’ai vu la grande salle de réveil et sa lumière blafarde, entre jaune et vert, et, les baissant vers le pied de mon lit, au lieu de la rambarde en fer forgé et de la housse de couette, ce drap jaune inconnu sur lequel reposaient deux bras et deux mains bandés, il me fallu quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait des miens, dans ces secondes qui allaient au-delà du lit, tout le reste s’est engouffré, l’attentat et les minutes suivantes, et avec lui les cinquante et un ans d’une existence qui prenait fin ici, dans cette prise de conscience, à cet instant.
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Avec l'été, les sorties se multipliaient. Un soir, je suis allé à ma première soirée mondaine. C'était une fête donnée par une amie du monde de l'édition, sur le toit du musée de la Marine. Ce toit semblait abandonné, avec ses différents niveaux, ses pierres fendues et ses murs écaillés. Quelques herbes folles avaient poussé. Plutôt que d'assister en survivant quinquagénaire à un cocktail, j'aurais préféré avoir sept ans et jouer ici à Robinson Crusoé. Je regardais chaque recoin en imaginant une cachette, une cabane. Je suis tombé sur des écrivains que je n'avais pas vus depuis longtemps et à qui je ne savais trop quoi dire. Les petits-fours m'étaient interdits, alors je buvais du champagne. Mes policiers s'étaient mis dans un coin avec ceux d'un autre protégé, Michel Houellebecq. Lui s'était recroquevillé dans un coin, en compagnie d'une femme souriante, elle-même écrivain, aujourd’hui morte. Je n'avais jamais rencontré Michel Houellebecq, l'homme qui le 7 janvier avait été notre dernier sujet de discussion. Nous nous sommes serré la main. Il semblait détruit, minéral et compatissant. Son sourire s'arrêtait au bord de la grimace. Là où il se trouvait il prenait souche, avec sa tête sans âge et sans sexe, son allure de fétiche passé au feu. J'ai pensé que tout homme prenant sur lui, avec autant d'efficacité, le désespoir du monde, devait remonter le temps pour finir dans la peau d'un dinosaure. C'était l'animal que j'avais maintenant sous les yeux, et, alors que nous murmurions quelques mots peu compréhensibles sur l'attentat et sur les morts, il m'a regardé fixement et il a dit cette parole de Matthieu : « Et ce sont les violents qui l'emportent ». Je suis rentré quelques minutes après (pp. 501-502).
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Je décris à mon frère les moments qui suivirent l'attentat : "Les gens/ avaient plus/ peur que moi. Je/ le voyais dans/ leur yeux. Et ma/ défiguration !". Puis : "Pas senti/ la balle. Ai fait le mort./ Le type passait/ criant Allah Akbar !" Au moment où j'écris ces mots, Allah Akbar, je sens un froid lourd et une nausée descendre et monter de partout. Je me dissous dedans. Allah Akbar s'étend sur moi comme tout à l'heure le champ Van Gogh et c'est à cet instant que je sens à quel point l'expression est devenue la réplique d'un personnage de Tarantino : cette prière religieuse que j'ai si souvent entendue dans les pays arabes, en Inde, en Indonésie, cette prière qui me berçait en me réveillant avant l'aube quand je dormais près d'une mosquée, cette prière pacifique qui élargissait le ciel en annonçant le jour, cette prière n'est plus qu'un cri de mort aussi ridicule que sinistre, un gimmick stupide prononcé par des morts-vivants, un cri que je ne pourrai plus entendre sans avoir envie de vomir de dégoût, de sarcasme et d'ennui. Puis : "Pas bougé/ D'un poil./ Pensai à Gabriela/ et aux parents/ Etrangement calme." Le cahier finit sur un constat : "Ca s'achevait/ J'allais partir !", et cette observation: "Je voyais/ la cervelle/ du pauvre Bernard Maris/ sous mon nez." Je pleure pour la première fois au moment où j'écris ces mots dans le cahier (...)
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À l'occasion de la parution d'une nouvelle traduction par Olivier le Lay, le Book Club invite les auteurs Philippe Lançon et Georgina Tacou pour redécouvrir l'unique oeuvre de Fritz Zorn, "Mars", essai autobiographique, critique acerbe de la bourgeoisie et ultime cri de douleur d'un auteur condamné par le cancer.
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

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