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Critique de JustAWord


Auteur de trois romans chez Albin Michel, l'américain Richard Lange a les crocs. Dans son dernier ouvrage, Les Vagabonds, il s'éloigne du réel pour visiter des territoires fantastiques à la fin des années 80 dans l'Ouest américain. En compagnie de deux frères, Jesse et Edgar, voici que le lecteur s'aperçoit qu'il n'est pas seul dans la nuit.
Préparez vos meilleurs pics à glace, la cavale commence.

Il était une fois en Amérique…
Aux côtés de Jesse et de son frère handicapé mental, Edgar, on comprend qu'une certaine communauté vit à l'abri du regard, ou du moins qu'elle tente de passer sous les radars. Dotés d'une longévité exceptionnelle mais obligés de sortir une fois le soleil couché et ayant besoin de sang humain pour apaiser la faim qui les ronge, ces êtres se nomment eux-mêmes des « Vagabonds ».
Vampires, avez-vous dit ?
Non, ou, du moins, Richard Lange n'a pas la grossièreté de les afficher ainsi… même si dans les faits, c'est bien ce qu'ils sont.
Si leur espérance de vie confine à l'immortalité, ces Vagabonds n'ont pas la force surhumaine qu'on leur prête dans les films d'horreur, juste une incroyable capacité à se remettre des pires blessures.
En cet été 1976, Jesse et Edgar, deux vagabonds, vont croiser une jeune femme du nom de Johona qui va bouleverser tous leurs plans. Jesse retrouve en elle l'image presque effacée d'une autre qu'il a aimé jadis, celle qui l'a transformé, littéralement : Claudine. Seulement voilà, son arrivée déstabilise les fragiles relations qui existent entre les deux frères et tout prend une tournure plus inquiétante encore quand Johona se retrouve aux prises avec un groupe de bikers redoutables appelés « Les Démons ».
Eux aussi ont soif de sang humain, et eux aussi n'aiment pas qu'on s'immisce dans leurs affaires.
Parallèlement à tout ça, Richard Lange épluche le journal intime de Charles, un père dont le fils, Benny, a été sauvagement assassiné, comme vidé de son sang. En quête de vengeance, Charles écume l'Ouest Américain en espérant retrouver la trace du meurtrier de son fils, il n'a aucune idée alors de l'existence des vagabonds et encore moins des choses qu'il devra faire pour trouver lui-même la paix, si une telle chose est possible.
Les Vagabonds se scinde donc en trois récits différents : celui de Jesse, assez classique, celui d'Edgar, moins évident et qui pose un regard plus naïf et brut sur le monde qui l'entoure, et celui de Charles sous forme de confidences à sa femme, plus viscéral et émouvant. Plus croyant aussi.
Trois fils narratifs pour trois façons de raconter une certaine Amérique.

Le coeur qui bat
Avant d'être un roman de vampires, Les Vagabonds est un roman américain jusqu'au bout des crocs. À la fois road-movie et roman noir, le livre de Richard Lange fouille les entrailles d'une Amérique de l'ombre, celle de gens qui vivent à la marge, qui se complaisent dans l'anonymat et l'invisibilité, souhaitée ou forcée.
Métaphore évidente du « Hobo » à la fois dans leur façon de vivoter ici et là mais aussi de n'intéresser personne, Jesse et Edgar incarnent tous deux une certaine facette de la société américaine, celle que l'on ne voit pas dans les cartes postales. Pour accentuer son enracinement culturel, Les Vagabonds parlent de sujets obsessionnels : le traumatisme de la guerre civile, le racisme envers les personnes noires, l'omniprésence des armes à feu et d'une violence banalisée, les meurtres en séries non résolus, les gangs de motards… jusqu'à ces grands espaces de l'Ouest Américain qui mènent forcément à des motels en bord de route ou à Las Vegas elle-même, la mère du vice. Pas de doute, Richard Lange veut tirer le portrait d'une nation mais en lui ajoutant cette fois une dimension plus fantastique, en important en quelque sorte le vieux monde dans le nouveau, pour donner un terrain de jeux différent à ces créatures que l'on connaît déjà si bien.
Efficace, mais finalement assez peu original, Les Vagabonds a la bonne idée d'une relation asymétrique entre Jesse et Edgar, donnant à ce dernier une dimension troublante, celle d'un prédateur dans le corps d'un adulte qui partagerait le volant de sa conscience avec un gamin de 10 ans.
La relation d'amour-haine qui s'établit entre les deux constitue l'un des moteurs de cette histoire et répond, en quelque sorte, à la relation qui peut exister entre Charles et sa femme, Wanda. Quelque part entre le ressentiment, l'amour et le chagrin.
Pour convaincre pleinement, Richard Lange cherche à humaniser au maximum tous ses personnages, qu'ils soient humains ou vampires, parvenant finalement à adopter tous les points de vues.
Certes ces êtres tuent des humains pour se nourrir mais eux aussi l'ont été un jour et le reste encore aujourd'hui, du moins bien davantage qu'on pourrait le croire.
Évidemment, il n'est pas question d'oublier que plus le roman avance, plus la tension monte, plus l'action devient furieuse et plus les évènements se précipitent, culminant dans un final Tarentinesque qui montre que la loi du Talion ne mène nul part si ce n'est à un bain de sang (et de poussières).
L'acceptation, le pardon, le nouveau départ.
Et si tout ça était finalement ce qui ferait du bien à l'Amérique ?

Roman de vampires qui ne dit pas son nom, Les Vagabonds est une incursion réussie de Richard Lange dans le genre fantastique qui contrebalance son classicisme par une vision fine et acérée d'une certaine Amérique des laissés-pour-compte, celle d'un pays rongée par ses propres démons assoiffés de haine.
Une bonne pioche pour les amateurs du genre.
Lien : https://justaword.fr/les-vag..
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