Citations sur Le plongeur (40)
Des mains marquées par vingt ans de cuisine, par les brûlures quotidiennes, le couteau à coquillage qui glisse et se plante dans la paume, les mauvais coups de lame qui retranchent les bouts de doigt, par les milliers de shifts passés à écosser, éplucher, émincer, touiller, éviscérer, désosser, hacher, par les manipulations répétitives et interminables des aliments crus ou en train de cuire, par l’infinie succession des poêlons, par le récurage des comptoirs en stainless et des ronds de poêle en fonte à l’aide de laines d’acier et de dégraisseurs aussi abrasifs que du solvant.
J'ai voulu me commander un autre verre, mais je me suis rappelé que je n'avais plus un clou. J'ai regardé autour de moi. Depuis mon brouillard, j'observais un à un les visages fendus de sourires, ces gens beaux sur lesquels une belle étoile brillait sûrement. J'étais redevenu un ti-cul cassé qui lave de la vaisselle.
- Perds pas le beat, sinon t'es faite. Si ça rushe et que ce n'est pas propre, checke les savons pis le filtre. Rince bien avant d'envoyer le stock dans la machine pis change ton eau souvent. Essaye d'enlever la marde qui tombe dans le dish pit au fur et à mesure, pour ne pas boucher l'évier.
Non seulement je ne gagnais presque rien, mais pendant ces trois mois-là j’avais perdu davantage que dans les six mois qui avaient précédé. Je n’avais pas encore compris la formule. Plus tu joues, plus tu perds. Je jouais tous les jours.
(Le Quartanier, p.98)
Bébert avait un visage rond et des joues charnues de bambin, mais on n'aurait pas osé les lui pincer. Son menton se perdait dans sa gorge large. Il lui manquait une dent et il remplissait sa veste de cuisinier de sa carrure trapue mais solide. Une bedaine commençait à lui pousser. Ses manches retroussées laissaient voir sur ses avant-bras épais deux ou trois tatouages inachevés. Il n'avait pas de toque comme les autres cuisiniers, il portait une casquette des Indians de Cleveland sur ses cheveux rasés à trois. Son pantalon était trop large pour lui, comme celui d'un rappeur. Il devait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans à l'époque, pas plus, mais il me donnait l'impression d'être plus vieux que cela.
C’est eux qui ont inventé ça, le heavy métal. Sans Black Sabbath, Iron Maiden n’existerait pas.
La gratte éclaire de son gyrophare la façade
blanchie des immeubles. Elle avance lentement sur
Hochelaga en tassant la neige devant elle. On arrive
enfin à la dépasser et on tourne dans une petite rue mal
éclairée. Le ciel est encore bas, sombre et cotonneux. La
chaleur confortable de l’habitacle m’endort presque.
On entend la voix du répartiteur au Cb, mais à peine.
Mohammed baisse le son dès qu’on monte dans sa Sonata
noire.
- Ça va bien aller, mon gars. C’est juste un restaurant.
J’avais l’impression d’être enveloppé dans un acouphène, coupé du reste du monde, aspiré dans une orbite au fond de la nuit. Je n’aurais pas pu me lever de la table pour aller aider ma mère mourante à dix mètres de moi. Toutes mes facultés ou presque étaient engourdies, comme anesthésiées. J’ai misé en deçà de toute volonté, maintenu en place sur une chaise par le frisson de milliards d’aiguilles le long de mon épine dorsale. Il y avait les mises, ma main, le tapis vert.
Il était partout en même temps, tight pis toute, une vraie machine. Mais en fin de veillée, des fois, il se transformait en monstre. Je l’ai déjà vu se faire deux grosses barres de même, sur le comptoir à côté des pompes à bières. Il les a sniffées d’une shot pis il s’est mis à dégueuler dans le lavabo de service, devant des clients qui finissaient leurs digestifs. Il s’est rincé la gueule avec du Jack comme si c’était du Listerine pis il est allé porter des factures à une table comme si de rien n’était.