Critique de
Philippe MOREAU DEFARGES, parue dans la revue Politique étrangère, n°2 de l'année 1985 :
« Les capitalistes nous vendront eux- mêmes la corde avec laquelle nous les pendrons » a écrit
Lénine. Cette phrase est le fil conducteur de la passionnante enquête d'
Eric Laurent : cerner le rôle exact des milieux d'affaires, surtout américains, dans le développement du communisme depuis 1917. La conclusion du livre est, a priori, sans équivoque : l'aide de certains capitalistes est intervenue de manière déterminante lors de chaque phase essentielle de l'histoire de l'URSS. Ainsi existerait une sorte de conjuration universelle entre les dirigeants soviétiques et quelques-uns des hommes les plus riches de la terre...
Mais ce livre séduisant, que le lecteur ne parvient pas à abandonner avant la dernière page, constitue en définitive un noeud d'interrogations.
Il appartient à un genre littéraire, très connu des Anglo-Saxons, celui des ouvrages fondés sur la théorie du complot : l'histoire serait faite par quelques individus cachés, tout puissants et unis par un seul but, la domination du monde. Cette vision obsède
Balzac, mais aussi Hitler ou Staline, et tant d'autres.
Dans ce livre d'
Eric Laurent, cette histoire prend une force particulière parce qu'elle se confond en fait avec un homme : Armand Hammer, âgé de 87 ans aujourd'hui, multimilliardaire américain, ayant assisté, en invité d'honneur, aux obsèques de
Lénine... et à celles de Tchernenko.
Ce médiateur entre Reagan et Gromyko est-il
Vautrin ou une marionnette ? Un homme d'argent ou un prophète machiavélique ? A l'issue du livre, le mystère demeure entier : que cherche cet homme : la puissance ou la certitude du mépris ? Peut-être la réponse ne sera-t-elle donnée que le jour où le dernier capitaliste, petit-fils ou arrière-petit-fils d'Hammer, tendra son cou et le glissera dans le noeud coulant de cette corde, dernière marchandise à vendre...
Lénine a écrit quelque part : « Nous sommes tous des condamnés à mort », et son disciple Staline d'ajouter : « C'est toujours la mort qui gagne... ».
Philippe MOREAU DEFARGES.