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Citations sur Vue pour la dernière fois... (14)

Alors que mes baskets foulent en rythme le pavé et que l'impact se répercute jusque dans mes os, je ne peux m'empêcher de me demander si le moment de vérité est arrivé.
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Ce n’est pas ma faute – le refrain qui accompagne ma vie depuis dix ans, chanté par un chœur de travailleurs sociaux, de psys et de flics. Je n’étais qu’une enfant. Je ne pouvais rien faire. C’étaient les autres qui n’avaient pas su me protéger, les autres qui n’avaient pas fait leur boulot. Et aujourd’hui, me voilà : une loque humaine, et ma fille… disparue.
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On m’a internée et on m’a obligée à avoir l’enfant de mon violeur. Et personne ne s’est vraiment donné la peine de rechercher ce type ; ils préféraient attendre qu’il s’en prenne à quelqu’un d’autre. Parce que tout le monde se fout d’une gamine à la peau bronzée venue des quartiers pauvres. Et vous dites que ça vous révolte ? Alors ça, c’est un sacré réconfort.
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Elle apparaît sinon comme une beauté naturelle, du moins comme une jolie fille bien conservée grâce à beaucoup d’argent et à une vie d’oisiveté. En la scrutant d’encore plus près, je remarque son air déterminé, les lèvres pincées comme si elle les mordait de l’intérieur, le menton ferme et la mâchoire serrée.
Moi qui m’attendais à la détester d’emblée, je suis surprise de n’éprouver aucune antipathie pour elle. Mais apparemment, je suis bien la seule. Les commentaires ne lui épargnent rien.
Sale bourgeoise refaite. Voilà ce qui arrive quand on laisse sa gosse à des nounous au lieu de s’en occuper soi-même.
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Et ma théorie est qu’ils savent très bien que leur victime ressent de la peur, de la douleur et les mêmes émotions que tout le monde. Ils le savent, sinon pourquoi se donneraient-ils tant de mal ? Autant fabriquer une effigie vaudoue ou acheter une poupée gonflable, si ça revient au même. Mais non. Ils ont besoin d’une personne réelle, qui vit, qui respire, qui crie de préférence et supplie pour avoir la vie sauve.
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Qu’ont en commun les ravisseurs, les bourreaux d’enfants, les tueurs en série et autres monstres de cette espèce ?
J’ai sauvegardé beaucoup de liens sur mon portable, mais la réponse se résume ainsi : ils sont comme un puzzle auquel il manque une pièce essentielle. Tous ne sont pas à proprement parler des psychopathes, mais ils présentent un dysfonctionnement psychique, qui fait qu’ils ne considèrent pas leur victime comme un être humain capable de sentiments et de souffrance. En général, ils ont eux-mêmes été maltraités durant leur enfance – et maltraitent à leur tour selon un processus de reproduction pervers.
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Pas mal de types me reluquent tous les soirs, même quand je n’ai pas le courage de m’apprêter. Les clients du lundi soir ne sont pas difficiles – ils baveraient devant n’importe quoi –, mais celui-ci saute l’étape où il me déshabille du regard et paraît plutôt passer mon crâne aux rayons X. Sentant les cheveux se dresser sur ma nuque, je fais aussitôt volte-face. Je remplis le verre de glaçons troubles et à moitié fondus et le pousse sur le comptoir avec le foutu Coca.
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Elle n’arrête pas de me dire que je gagnerais beaucoup plus en tant que strip-teaseuse, que je gâche mes bonnes années à me bousiller le dos derrière une caisse enregistreuse et un bar, alors que je devrais être de l’autre côté, à amasser des fortunes. J’y ai songé. Horaires flexibles, bonne paie, et je n’aurais qu’à porter des bottes de dominatrice pour couvrir mes cicatrices aux chevilles, plus quelques bracelets de force – comme les filles qui ont des problèmes de drogue, de ceux qui impliquent des seringues. Quant à ma cicatrice au ventre, eh bien, j’ai vu bien pire ici, et je pourrais la cacher avec du maquillage. La cicatrice de césarienne de Natalia est presque aussi moche – encore un sujet que je n’ai pas abordé, partant du principe que moins on en sait, mieux on se porte.
Sans être particulièrement prude, je lui ai toujours répondu que je n’étais pas faite pour ce job. C’est une ligne que je ne veux pas franchir, du moins pour l’instant.
Ce qui me fait penser que je devrais sans doute aller faire de la lèche au patron tant que j’ai toujours un emploi. Mais je n’arrive pas à y attacher de l’importance ; ça paraît irréel, comme s’il s’agissait d’une émission de télé que je regarderais tous les soirs, et pas de ma propre vie.
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On peut porter ce qu’on veut, tant que c’est blanc. Les filles se plaignent de la couleur, fatale pour les taches et quasiment transparente sous les lumières noires, mais je trouve que ça donne une illusion de courbes à mon corps de garçonne, ce qui est bon pour les pourboires. Mes deux robes de travail sont identiques, des modèles bon marché en polyester, à vingt dollars après réduction dans une grande enseigne de prêt-à-porter, mais elles ont un joli décolleté plongeant et m’arrivent à mi-cuisse.
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Je ne saurai probablement jamais ce qui a disjoncté dans l’esprit de mon ravisseur pour qu’il décide de prendre le risque de me laisser vivre. Pour autant, je n’ai jamais cessé de me poser la question. Et je n’ai jamais pu me débarrasser du soupçon qu’une force anonyme dans l’univers m’avait sauvée pour me réserver une épreuve encore pire.
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