Le miracle n’est pas de marcher sur l’eau, il est de
marcher sur la Terre verte dans le moment présent et
d’apprécier la beauté et la paix qui sont disponibles
maintenant.
THICH NHAT HANH,
La Paix en soi, la paix en marche
L’humilité et l’humain puisent leurs racines étymologiques dans l’humus, la terre, à l’image de cette glaise grasse dans laquelle je peine, patauge et m’enfonce. « Humain, trop humain », dirait Nietzsche. « Glaiseuse, trop glaiseuse », pourrais-je ajouter. Avancer devient un véritable calvaire qui délivre du trop-plein d’assurance et de certitude, flambée brillante qui réduit l’orgueil à l’état de cendres… La matière ne trichant jamais, ne serions-nous finalement vraiment humains que lorsque nous sommes humbles ? La terre est le laboratoire de l’humanisation de soi.
Friedrich Hölderlin notait superbement : « Il faut habiter poétiquement la terre. » Rilke lui emboîtait le pas en pointant du doigt le pouvoir transfigurateur de notre perception : « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. »
Cela n’est pas un concept abstrait issu des méandres d’esprits lyriques. La poésie est à l’œuvre dans toutes ces choses infimes dont nous ne nous étonnons plus, trop occupés que nous sommes à nous dépêcher de vivre, trop ensommeillés par une routine lancinante ou trop encombrés par les filtres de notre mental.
Nos existences me semblent parfois aiguillées par des arcanes insondables, à l'image d'une partition qui s'anime, prend vie et sens sous l'effet des gestes justes et majestueux d'un grand chef d'orchestre à l'oeuvre.
la délicieuse impression de faire chanter la terre.
L'habit fait le pèlerin! Et à Shikoku, c'est indispensable pour être reconnu comme henro [pèlerin des 88 temples de Shikoku] sur la route et bénéficier d'une considération dont ne jouit pas le marcheur anonyme.
Le pèlerinage de Shikoku, balisé par une main rassurante qui indique la voie, est un vrai parcours initiatique, rythmé par ses 88 temples, une sorte d'escalier vers la perfection.
Son visage tout plissé m'apparaît comme le parchemin d'une longue histoire à déchiffrer, certainement une vie vécue comme une belle aventure, vu ses yeux rieurs et lumineux.
Le jour de mon départ, je suis assise, songeuse, sur la marche du temple, les pieds nus sur les planches lisses, savourant cet air humide dans lequel se côtoient fumées d’encens, émanations du bois vernis et fragrances de la nature. La pluie d’été tombe sur Koya-san. Joie simple d’écouter cette douce mélodie. Les gouttes tintent doucement sur l’auvent. Dans cette atmosphère paisible, la brume essaime ses filaments de dentelle ouateuse. Les formes se voilent puis se dévoilent. Les silhouettes des arbres millénaires apparaissent et disparaissent au rythme de cette danse diaphane. Moment de grâce. Un sentiment de plénitude m’envahit. Je suis. Je respire, véritable incantation de louange à la Vie. J’écoute simplement ce qui se vit en moi et autour de moi. Tout se pare d’or.
faire de ma vie un voyage ininterrompu