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Critique de Sofiert


Au cours de l'hiver 1992, en Roumanie, un jeune couple tombe en panne de voiture sur une route déserte des Carpathes. C'est Jeanne qui a emmené son compagnon dans cette montagne pour finir en beauté sa thèse sur les rituels mortels des orthodoxes vieux-croyants qui ont fui la Russie. Elle doit retrouver la trace d'une femme ressuscitée dont le témoignage serait précieux pour le rayonnement de son travail.
Boris, son compagnon, est boxeur professionnel et ne partage absolument pas sa passion pour l'anthropologie et les croyances païennes.

En raison de l'isolement et des conditions météo, ils acceptent de suivre un enfant qui les guide vers une communauté totalement dissimulée dans la montagne.
Livre d'aventure ? Livre d'horreur ?
Le roman de Liliana Lazar utilise ces registres mais va bien au-delà. Elle aborde avec intelligence les mythes et les croyances anciennes qu'elle décline autour de la question du genre et des utopies communautaires.

Le couple en détresse est accueilli dans une colonie dirigée par une femme que tous vénèrent sous le nom de Mama Ottilia.
Cette communauté a été fondée en 1910 par des religieux russes chassés par le tsar et installés en Roumanie . Au cours de la guerre contre la Russie, les femmes ont pris le pouvoir et se sont organisées en matriarcat, prenant ainsi leur revanche contre la pratique du viol comme tactique de guerre prônée par les soldats russes. La misandrie absolue dont elles font preuve au quotidien résulte sans aucun doute des épreuves subies à cette époque.

Liliana Lazar a choisi de donner la parole à une femme qui pose un regard perspicace sur cette communauté qu'elle étudie. Dans ses carnets ( en italique dans le texte), les notes prises par l'anthropologue à destination d'un public de chercheurs, attribuent à ses descriptions un coefficient supérieur. Savoir d'où elle parle c'est un gage donné à la validité d'un discours qui se trouve de fait authentifié.
Cette microsociété matriarcale quitte le domaine de la fiction pour devenir un régime d'organisation vraisemblable.

Si elle étudie cette société " où les femmes urinent debout, les hommes doivent pisser assis", Jeanne qui est enceinte, est rapidement associée à la vie quotidienne.
Elle va alors réaliser à quel point ce "patriarcat inversé" mène la vie dure aux hommes qui sont appelés les boucs, sont confinés dans des tâches subalternes et emasculés lorsqu'ils ne servent plus à la reproduction. Les bébés mâles sont élevés en tant que filles jusqu'à l'adolescence ( jusqu'à ce qu'ils sentent), de manière à réguler toute propension à l'agressivité.
Boris, qui a été blessé alors qu'il tentait de s'enfuir, est exilé dans une cabane et utilisé pour féconder les femmes du village.

Le discours féministe prend place dans un dispositif romanesque superbement rythmé sans jamais l'alourdir. Comme Wendy Delorme, elle interroge les constructions de genre.
"Je suis femme. Et je ne l'ai pas choisi. Cela s'est imposé à moi comme une évidence. Étant femme, je n'ai pas hérité des attributs du pouvoir. Je n'ai pas reçu cette force physique qui permet à Boris de s'imposer sans avoir à manier les mots. Cette assurance qui fait que l'on a préféré donner MON poste à l'université à un HOMME moins compétent que moi. J'en suis là à cause de cet a priori que tant de femmes subissent. Là où eux sont des mâles, des durs, des costauds, des bonshommes, la femme se résigne à n'être- selon leurs mots- qu'un sexe faible, une fragile, une greluche, une poule, une petasse tantôt connasse, tantôt salope, une femelle et rien d'autre. Je n'ai pas choisi d'entrer dans ce rapport, mais je l'ai intégré. En un sens je l'ai accepté. Il n'y pas de domination sans une forme de consentement de la part des dominés. "

Dans ce décor de forêts opaques, autour d'une nature sauvage qui accueille ours et sorcières, le roman déploie une atmosphère toute particulière, mélange de mysticisme et de traditions. Alors que la littérature contemporaine commence à dépeindre des sociétés matriarcales par le biais de la dystopie, l'autrice utilise le passé historique de son pays d'origine pour composer sa tribu de femmes.
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