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Critique de Kirzy


Kirzy
13 septembre 2020
°°° Rentrée littéraire #18 °°°

Bien sûr, il y a cette photographie iconique d'Arthur Rimbaud, prise en 1871, il a 17 ans, « l'enfant sublime », lorsqu'Etienne Carjat l'immortalise à jamais, le regard clair perdu au loin dans ses pensées. Et puis, il y en a une autre, très connu aussi, de Rimbaud en tenue de communiant, le regard franc et légèrement insolent. Cette photographie là, prise en 1866, a été grossièrement " retouchée" ou plutôt recadrée en 1910 pour ne faire apparaître que le seul Arthur, effaçant un bras qui était celui, initialement, de son frère aîné d'un an, Frédéric, effaçant la totalité du frère. Un frère maudit, déchu, renié, ostracisé de la légende rimbaldienne réécrite par sa mère puis sa soeur Isabelle aidée de son mari Patterne Berrichon.

Pourquoi avoir effacé ce frère, cet autre Rimbaud dont le poète a été si proche durant son enfance ? C'est ce mystère qu'entend lever David le Bailly dans ce récit passionnant et très documenté, oscillant de façon très fluide entre fiction et enquête, mais profondément romanesque dans sa construction.

De l'enquête, on retient toute la rigueur de l'auteur qui a ingéré une masse importante de documents sur la famille Rimbaud, pour en faire un rendu clair, net, aisé à assimiler pour le lecteur. Son récit est régulièrement émaillé de citations ou d'extraits de lettres, notamment une, absolument étonnante, où la terrible mère de Rimbaud écrit à un Verlaine au bord du suicide, des mots consolateurs.

C'est pour redonner visage, voix, chair et émotion à ce frère paria que la forme romanesque prend tout son sens et son ampleur, comme une réhabilitation profonde de l'injustice qu'il a subi de son vivant . Il faut dire que le portrait ici dressé de la famille Rimbaud tient du grand roman dix-neuvièmiste. Une mère, Vitalie Cuif, acariâtre, castratrice et dictatoriale, d'une méchanceté hargneuse telle qu'elle fit tout pour empêcher son fils aîné de se marier avec une femme jugé indigne du clan : il dut oser s'opposer à elle lors d'une longue bataille juridique qui se soldat par une victoire, l'arrêt Rimbaud vs Rimbaud. Une soeur, Isabelle, façonnée par la mère dans la haine de son frère aîné et dans l'idolâtrie du génial Arthur jusqu'aux mensonges et l'hypocrisie .

Arthur Rimbaud y apparait très loin des clichés positifs l'entourant : antipathique, embourgeoisé, prétentieux, bien loin du mythe : l'autre Rimbaud, c'est également lui, décrit sous sa face sombre. Bien sûr, on parvient à comprendre les ressorts qui ont poussé toute une famille à effacer un de leur membre faisant tâche avec sa femme paysanne et sa condition modeste de conducteur de coche ; et puis Frédéric était surtout celui qui pouvait contredire la légende rimbaldienne réécrite après la mort du poète à 37 ans.

L'auteur livre là une belle réflexion sur la mécanique des secrets de famille et offre une juste réhabilitation à cet inconnu au patronyme illustre.
Il s'appelait Frédéric. Frédéric Rimbaud.



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