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Critique de florigny


Pendant ses cinq années d'incarcération pour ne pas avoir dénoncé son frère Fabien, son complice dans un braquage foireux, Franck a eu tout le temps de penser à son premier matin de liberté, à la première aube qu'il verrait pâlir, à la lumière, aux chants du coq et des oiseaux. Mais le jour de sa libération, ce n'est pas Fabien qui l'attend sur le parking de la prison, mais Jessica, femme fatale, charnelle et animale, compagne de son frère retenu en Espagne pour affaires. Or, en cinq ans, Franck a eu tout le temps aussi d'oublier le sourire des femmes, les significations qu'ils suggèrent ou les contresens qu'ils provoquent. le piège est prêt à se refermer sur lui, dans lequel il se précipite tout en le pressentant. Dès les premières pages sous tension, la menace plane, la catastrophe est inévitable.


En attendant le retour de Fabien parti pour faire fructifier les 60 000 euros du casse, les parents de Jessica, affreux, sales, méchants, mais aussi alcooliques et désaxés, hébergent Franck dans une caravane sur parpaings, plantée sur un terrain isolé, où l'on trouve en vrac une maison, un atelier consacré au trafic de voitures, une piscine hors-sol, dans laquelle Rachel, la petite fille trop silencieuse de Jessica, s'amuse à se noyer, sous l'oeil noir de Goliath, un molosse au rictus terrifiant. Autour de ce capharnaüm-déchetterie, même la forêt apparaît menaçante, grillée par le soleil, n'offrant aucune fraîcheur réconfortante. Franck est sorti d'une prison pour entrer dans une autre ; il découvre un nid de crotales dans le biotope où rampent habituellement et paisiblement couleuvres et vipères.


L'été caniculaire devient torride, météorologiquement et sexuellement. La fournaise dénude les corps, exacerbe les désirs, l'agressivité, et donne soif. La mise à nu par l'auteur (et pas que...) de Jessica montre deux femmes en une seule, lumière et ombre, tour à tour possédée et dépossédée, une femme double qui déboussole le héros jusqu'au bord de la folie, et qui sème le chaos partout où elle passe. Déséquilibrée, instable, imprévisible, elle aime follement sa fille Rachel, ou, selon les jours, la maltraite tout aussi follement. Franck observe à la dérobée, comme s'il étudiait de l'intérieur une tribu de singes tandis que monte en lui quelque chose de barbare, sombre et bestial et qu'il tente d'établir un contact, aussi fragile soit-il, avec Rachel.


Dans cet univers où règne une violence incontrôlable, Hervé le Corre réalise un roman vibrant d'humanité, de fraternité, bouleversant d'une simplicité qui touche au coeur ; il aime ses personnages qu'il décrit avec tendresse et bienveillance. Il montre, constate, sans juger, analyser ou diagnostiquer, les comportements déviants de gens ordinaires. Jamais ne sont étiquetés psychiatriquement le mutisme de Rachel ou les troubles de Jessica, les positionnant hors du domaine de la médecine. Il ne fait que raconter aux lecteurs l'histoire de petites gens qui auraient pu réaliser des rêves modestes, qui à un moment donné, ont été déclassées, rejetées, qui ne sont pas des feignasses puisqu'elles acceptent des petits boulots faits de torchage de vieux dans des maisons de retraites, d'heures de ménage, de vendanges, ou de contrats pourris pour remplacer une caissière dans un supermarché aux pires heures du jour et du week-end. Alors forcément, ces gens-là, nous, vous, pas ceux que l'on récompense d'un million d'euros parce qu'ils ont bien licencié, se débrouillent, et la frontière est mince entre la débrouille, la carambouille, et les embrouilles.


Je pèse mes mots : un chef-d'oeuvre du roman noir social.
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