AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ogrimoire


Comment traiter d'un tel sujet – la façon dont quinze hommes ont, un jour, entre le buffet et le dessert, décidé du sort, et de la mort, de millions d'autres hommes – ? C'est l'interrogation première que pose cette bande dessinée, dès la préface de Didier Pasamonik : comment éviter la fascination, morbide, voyeuriste ou sidérée, à la fois pour ces morts, ces cadavres, et pour la mise en scène nazie, entre célébrations aux flambeaux et esthétique aryenne ?

Quoi qu'il en soit, le résultat est, de mon point de vue, extrêmement réussi. En ce centrant sur ces 90 minutes qui ont marqué à jamais l'humanité, l'auteur parvient à la fois à nous en montrer le côté monstrueux, mais également risible. Ces hommes, au-delà du pouvoir immense qu'ils ont alors, et qu'ils vont exercer en despotes, que sont-ils ? Rien, en fait, ou si peu que c'en est négligeable. Et, d'ailleurs, ce qui pourrait être le principal reproche que j'aurais à faire à cette bande dessinée – je ne reconnais pas les différents personnages, je ne les distingue pas vraiment les uns des autres – prend en fait pour moi un autre sens : il n'y a aucun intérêt à les distinguer, parce qu'ils sont en réalité des rouages, parfaitement interchangeables. À part Eichmann et Heydrich, dont on connait les « exploits », les autres ont été d'abord de ces hauts fonctionnaires qui « ont appliqué les ordres »… Et cette façon de les fondre dans une espèce de « communauté » indivisible me semble être une bonne façon de les représenter. Les dessins, pour en terminer avec cette dimension de la bande dessinée, sont dans des teintes passées, dans des nuances de gris, qui vont bien avec le sujet traité. Tout reste un petit peu flou, comme le cauchemar que événement incarne.

Les dialogues montrent, par petites touches, les lignes de faille. Les échanges, avant le début de la conférence, dans les petits groupes qui se forment, montrent les dissensions, les luttes de pouvoir. On perçoit également le montage de la manipulation – il est prévu, avant même la conférence, que les notes soient détruites, pour que seul un communiqué officiel subsiste. Et puis arrivent – les derniers – Eichmann et Heydrich. Et, quoi que l'on ait pu dire d'eux en leur absence, on ne leur dit pas non.

C'est sinistre, c'est glaçant, naturellement. Mais c'est tellement salutaire, également, de pouvoir accéder à un tel témoignage de la façon dont un système peut emmener avec lui des hommes « normaux », et non pas des « monstres » qui auraient été prédestinés à cela. Cela n'est pas sans me faire penser à ce qu'Éric-Emmanuel Schmitt indique dans sa postface à La part de l'autre, rappelant qu'il serait trop facile, pour l'humanité, de se dédouaner en considérant Hitler comme un monstre, alors qu'il faut prendre à bras le corps la question inverse, qui est de savoir comment un homme lambda peut, au travers de circonstances, devenir un bourreau… Cela me fait d'ailleurs songer que je devrais consacrer une chronique à ce livre… à suivre !

Enfin, à signaler, à la fin de l'histoire, l'auteur nous indique, en quelques pages et en quelques dessins, le destin de chacun de ces hommes. Et c'est presque là où l'on est le plus choqué, en découvrant que deux d'entre eux ont vécu encore plusieurs dizaines d'années…
Lien : https://ogrimoire.com/2020/0..
Commenter  J’apprécie          370



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}