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Critique de Bigmammy


Je me souviens avoir lu ce classique de la littérature rustique voici vingt-cinq ans. Cependant, malgré les deux adaptations télévisuelle (Stellio Lorenzi en 1969) puis cinématographique (Laurent Boutonnat en 2007) qui eurent un certain succès, je ne me souvenais plus de l'intrigue et j'ai éprouvé un vif plaisir à relire cette terrifiante épopée jusqu'à sa fin, heureusement favorable pour le héros.

Plus même, en lisant dans cette édition des « Classiques de poche » les exposés introductifs d'Amaury Fleges et Emmanuel le Roy Ladurie, j'ai mieux compris le propos polémique et politique d'Eugène le Roy. Quelle ironie, enfin, pour cet auteur, fils d'un couple de domestiques du château de Hautefort devenu fonctionnaire du fisc, de porter ce patronyme alors que ses idées prônent l'affranchissement du peuple des sujétions de la noblesse et de la religion …

Une histoire âpre, terrible, de misère paysanne dans la première moitié du XIXème siècle. Un roman de la précarité et du malheur fondant si vite sur ceux qui n'ont ni bien ni terre, obligés de se louer à la journée, vivant de châtaignes séchées et de braconnage. La pauvreté en pays rural est pourtant bien difficile à appréhender dans ces temps de bouleversements politiques. Cependant, Jacquou le Croquant la rend bien tangible. La Dordogne est un pays pauvre, isolé, bien loin des courants de communication, dénuée de ressources naturelles. Les paysans y survivent très difficilement car « l'agriculture locale avec ses boeufs de labour (en guise de chevaux) et ses araires (charrues primitives) n'a qu'une faible productivité, malgré l'introduction plus ou moins récente des plantes d'origine américaine (maïs, pomme de terre). » et en plus, elle doit supporter ici les exactions d'un cynique nobliau local, l'ennemi juré de Jacques Ferral, le héros de l'histoire.

La trame du roman est simple : c'est celle d'une famille pauvre persécutée par le comte de Nansac, avide et fourbe, puis celle de la vengeance de Jacquou, le fils de celui qui est mort au bagne pour avoir abattu l'homme qui, par ordre de son maître, avait abattu sa chienne. Jacquou, élevé – au sens littéral du terme – par le bon curé Bonal (un prêtre « jureur » interdit par les maudits jésuites) qui fédère autour de lui toute la population avoisinante pour brûler le château. Mais Jacquou est un être noble, lui, et il épargnera la vie du diable local afin que celui-ci souffre plus que la mort trop douce en perdant tout son bien et sa dignité avec.

Connaissant bien la région, je me suis retrouvée comme chez moi dans ces forêts profondes et sans difficulté à lire cette prose surannée émaillée de termes patois le plus souvent explicités. le style est alerte et les situations haletantes. Eugène le Roy, quoique militant et produisant une oeuvre politique destinée à éduquer le peuple mettant en lumière une classe paysanne mythique et déjà, à l'heure où écrit l'auteur, en partie passée à la Révolution Industrielle, est aussi et surtout un conteur hors pair qui mêle habilement à son intrigue des événements à peine transposés. Cet été par exemple, nous avons visité la maison forte de Reignac où le seigneur local, sorte de Barbe-Bleue surnommé le Bouc de Reignac, subit le même sort que le sinistre Nansac.

Un roman classique du XIXème siècle, paru tout d'abord en feuilleton dans La revue de Paris en 1899 puis chez Calmann-Lévy en 1900, et qu'il est sans doute bon de mettre en perspective avec explosions populaires actuelles contre l'oppression de minorités politiques ou religieuses qui conduisent au désespoir les plus pauvres qui n'ont plus rien à perdre.
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