Le démocrate est modeste, il sait qu'il ne sait pas tout, il accepte de réfléchir aux arguments de son adversaire. (Camus)
Char et Camus, promeneurs de Provence, arpenteurs audacieux de la Grèce antique, agissent en "matinaux". Plaçant les combats de l'histoire sous le signe de l'immémorial matin grec, ils ne dissocient pas poésie et résistance, pensée et révolte. Ils œuvrent en faveur d'une lumière d'origine qui, redonnant à la parole sa fulgurante vérité et à la pensée sa forme essentielle de mesure, éclairera à nouveau art et politique. Ils rédigent tous deux un manifeste de la lumière qui lie durablement la révolte et l'espoir : "Au bout de ces ténèbres, une lumière pourtant est inévitable que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu'elle soit" ( L 'Homme révolté). (142)
Si Camus publie les feuillet d'Hypnos (1946) dans la collection "Espoir" qu'il dirige chez Gallimard, c'est qu'en effet il considère Char comme la figure accomplie du résistant, de "l'homme révolté". Mais il n'est de vraie révolte que celle qui implique les mots. Comme Camus l'écrira plus tard dans L'Homme révolté (1951) : "Le plus grand style en art est l'expression de la plus haute révolte." La poésie est forme de résistance. La fulgurance du style exprime le refus de l'abandon au langage commun qui trahit la résignation politique, l'acceptation idéologique. Les mots, s'ils font œuvre de poésie et de philosophie, font aussi œuvre de politique. Ils s'abreuvent à la source d'un logos plénier. (140)