Pourquoi relire une revue 10 ans après ? En me livrant à cet exercice je pensais simplement rafraichir ma mémoire mais entretemps une partie des protagonistes ont disparu, des contemporains d'
Albert Camus, qui l'avaient réellement connu, travaillé avec lui, partagé des amours. Et voilà que le texte prend une autre signification, une autre dimension, plus personne ne pourra décrire comme
Max-Pol Fouchet,
Pascal Pia,
Roger Grenier ou
Charles Poncet « L'homme Camus ».
La revue est découpée en quatre cahiers :
- Parcours et engagement
- Les
oeuvres
- Affinités
- Repères
Pour les raisons citées plus haut ce sont évidemment le premier et le troisième cahier qui m'ont le plus intéressé.
Avec
Max-Pol Fouchet on replonge dans l'Alger colonial des années trente la complicité immédiate des deux hommes à travers «
Les Iles…un curieux mélange de tendresse et d'ironie » écrit par leur professeur de philosophie
Jean Grenier. C'est aussi les premiers engagements politiques de l'un et l'autre mais aussi des discussions au café Fromentin où ils avaient « l'impression d'inventer la littérature ». Les premiers signes de la démarche émergent, le « tu vois il ne répond rien » de Camus montrant le ciel après avoir vu un enfant arabe renversé par une automobile qui ne s'était pas « arrêtée pour si peu ». C'est enfin une amitié liée par un déchirement car Simone H. abandonnera
Max-Pol Fouchet pour Camus. La suite est connue mais lire le devenir de ces deux adolescents m'a ému, un témoignage sur la vie dont Camus dira, bien plus tard, dans une lettre à
Max-Pol Fouchet « On le dit et on s'en va »
Pascal Pia, qui précise qu'il a été « son compagnon, non son confident » évoque Camus journaliste à Alger républicain avant de l'être à Combat. Pia raconte la rigueur et l'honnêteté du journaliste, notamment lors de sa relation du procès du cheikh El-Okbi. Suivent aussi quelques anecdotes sur le jeu avec la censure et quelques réflexions sur l'ambiguïté même du Journal à travers ses actionnaires.
L'article célèbre « Misère en Kabylie » et son peu de retentissement est évoqué dans l'article d'Alexis Brocas qui le replace dans son contexte historique, à savoir la seconde guerre mondiale qui éclatait trois mois plus tard.
Roger Grenier dans une interview retrace la parcours de Camus au journal Combat, j'en retiendrai surtout l'évocation de sa rigueur et de son esprit d'équipe. Il y a quelques années j'était tombé par hasard chez un bouquiniste sur un petit opuscule écrit par les ouvriers du livre à Combat lors de sa mort qui témoignaient aussi des qualités humaines de l'écrivain. C'est un point clef car des personnages importants ont parfois souligné le côté cassant du personnage. Camus n'a jamais oublié ses origines et la noblesse du monde ouvrier.
Enfin
Charles Poncet conclut cette partie par les dessous de l'échec du projet de trêve civile et la réunion du 22 janvier 1956 dont l'échec avait tellement déstabilisé Camus.
Je m'attarderai moins sur les
oeuvres car c'est un peu une succession de courts articles sur les grands textes de l'auteur.
Roger Grenier y signe un article sur les « Carnets » ouvrant quelques voies sur « le ressort intime » de l'écrivain. Enfin, un entretien avec
Olivier Todd et
Alain Finkielkraut permet de replacer le « Premier Homme » dans l'oeuvre de Camus, mais aussi de replacer le philosophe dans cet entre-deux qui lui a valu tant de haine de factions diverses, penseur des limites de la révolution et du terrorisme, « penseur de la gratitude envers le monde ».
Dans la troisième et dernière partie de la revue cinq articles s'attachent à retracer les influences de Nietszche, l'amitié avec
René Char à travers lequel on peut dire que Camus a découvert la poésie, le débat avec
Roland Barthes et un très court texte de
Sartre (1 page !) sur Camus.
La revue se clôt par une chronologie et une bibliographie à la date de sa parution.
Un lecture nostalgique pour les lecteurs inconditionnels du prix Nobel.