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Critique de Erik35


DU RIFIFI EN FRANCOPHONIE.

C'est peu de dire que Michaëlle Jean est méconnue en France. Pourtant, cette canadienne née en 1957 à Port au Prince, au curriculum vitae impressionnant, a déjà vécu plusieurs vies en une dans son pays d'adoption, le Canada, dont elle fut une journaliste-productrice vedette puis la troisième femme gouverneure générale de l'histoire de ce pays (NB : pour aller vite, c'est le ou la représentante du souverain - en l'occurrence Elisabeth II -. C'est un rôle de représentation mais aussi de commandant en chef des armées canadiennes. l'ensemble peut paraître un peu nébuleux au regard des français...).
En 2014, elle sera nommée Secrétaire Générale de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) après vote par consensus et sur proposition du président Secrétaire Général, l'homme d'état sénégalais Abou Diouf.
Assurément femme de caractère, d'une grande intelligence, polyglotte (elle parle cinq langues), très investie dans la cause des femmes et des enfants («elle a travaillé huit ans pour le compte des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale» source Wikipédia), ce qu'elle confirmera déjà à l'occasion de son gouvernorat, ayant plusieurs dizaines d'idées, de projets à la minute, ne s'encombrant guère des lourdeurs protocolaires ni des "éléments de langage", se fichant comme d'une guigne (sans doute un peu trop) des rumeurs pour ne pas dire des cabales lancées sur son compte, c'est donc l'histoire des quatre années de cette femme d'action et de conviction à la tête de cette institution dont, il faut bien le reconnaître, il est fait assez peu de cas en France (sinon pour pousser, de temps à autre et presque toujours à des fins de politiques internes sans rapport direct avec les actions de cette organisation internationale, quelque bien vaniteux cocorico quant à la présence de notre langue dans le monde) que Bertin Leblanc, qui fut le porte-parole de Michaëlle Jean durant ces quatre années un peu folles, toujours entre deux avions ou entre deux visites diplomatiques, nous raconte avec beaucoup de d'autodérision, de vitalité et d'humour.

On va ainsi suivre cet ancien journaliste et diplomate à l'occasion de diverses pérégrinations, tant dans plusieurs pays d'Afrique, qu'au Canada (surtout au Québec), à New-York (au siège des Nations-Unies) pour s'achever à Erevan, en Arménie, où sera nommé la successeure de Michaëlle Jean - et à son grand dam -, la rwandaise Louise Mushikiwabo. Mais entre ces deux moments, il s'en sera passé des événements ! Tour à tour drôles, émouvantes, affligeantes, byzantines, fortes, décalées, ces quatre années passent comme un véritable maelstrom sous le regard un peu affolé du lecteur, lequel ne se doutait guère de cela avant de soulever, un peu, le voile sur ce monde complexe de la diplomatie internationale. Mais c'est d'abord du Québec que viendront les premiers coups de canif : un journal populiste (de type tabloïd) détenu par un milliardaire local, Pierre-Karl Péladeau, furieusement nationaliste, n'aura de cesse de tailler des croupières à cette femme qui a, à ses yeux, le grand tort de n'être pas indépendantiste et, pire, de s'être vendue à l'anglais en devenant gouverneure de l'état fédéral ! Aussi ce journal s'acharnera-t-il a faire remonter des "affaires" relevant plus d'une succession de maladresse (certes coûteuses) que de la malveillance ou du goût du lucre (ce dont elle est régulièrement accusée). Mais le discrédit une fois jeté, rien ni personne ne pourra plus faire machine arrière, au point d'être peu à peu lâchée par ses anciens soutiens, dont le plus notoire est Justin Trudeau lui-même. Mais l'un des grands tournants fut une rencontre - malheureuse, tant il apparaît que Michaëlle Jean n'a pas su "lire" le personnage, se fourvoyant intégralement sur son entrevue avec lui - avec notre propre président, Emmanuel Macron, dont la décision fut prise dès cet instant de remplacer au plus vite cette femme par trop indépendante, volontaire et idéaliste. Un élément apparaît clairement alors : la France se contrefiche de l'OIF, tant que celle-ci ne vient pas lui mettre de bâtons dans les roues. Fermez le ban ! Dès lors, L'Elysée mettra en avant la candidature d'une ministre rwandaise dont il n'est pas inutile de rappeler que son président, Paul Kagame, se comporte en quasi dictateur, que c'est devenu un des pires pays d'Afrique en terme des droits de l'homme et que, comble du comble, cela fait vingt ans que le français est interdit dans les écoles françaises. Une journaliste, amie de Bertin Leblanc échangeant quelques mots avec lui autour d'un repas, aura cette saillie terrible à propos des deux hommes : « Et toi alors ? Vous avez les rwandais dans les pattes ? Ça va pas être facile, Kagame est un psychopathe. C'est pour ça que lui et Macron s'entendent si bien.» Ambiance ! La suite de "l'aventure" ne sera plus, dès lors, qu'une lente et irrémédiable descente vers cette certitude que la Secrétaire Générale ne pourra pas être reconduite à son poste - ce qu'elle refuse de voir, tandis qu'on devine, peu à peu, que son entourage, pourtant plein d'admiration pour l'énergie, la ténacité de leur cheffe, ne savent plus comment faire pour réparer ses "boulettes" en terme de communication, son sens de l'à propos totalement défaillant, les "affaires" qui empoisonnent toute discussion raisonnable avec les contradicteurs, une certaine manière de ne pas vraiment écouter ni entendre les "grands" qui l'environnent, aussi. Intelligence et orgueil, même dirigé vers de justes causes, peuvent parfois aller de pair et son contre-productif dans un monde de sourires hypocrites, de faux semblant, de pas feutrés portant des annonces assassines. Michaëlle Jean ne ser donc pas reconduite, lors du sommet d'Erevan. Sommet auquel un certain Emmanuel M. fera un discours fleuve (malgré des limites de temps impératives imposées aux intervenants...), s'en ira comme il était venu, sans saluer grand monde ni même attendre la nomination de son "poulain", la fameuse ministre rwandaise, bref, se comportant en véritable malotru, imbu de sa personne et de son rôle de président de la République Française, faisant encore, quoi qu'on en dise, la pluie et le beau temps en Françafrique (et l'OIF semble, de fait, une sorte de hochet culturo-diplomatique entre les mains des divers pays de l'Afrique francophone... ou même pas francophone, d'ailleurs !)... Un drôle de modèle d'homme d'état, à dire vrai. Cette cette édifiante histoire est contée de l'intérieur par l'un de ceux qui ont vu les choses se faire au jour le jour. On y découvre tout à la fois de vrai moment d'espoir et de sérieux motifs de désespérance. Malgré son caractère difficile (sic !), Michaëlle Jean semble avoir vraiment voulu réveiller cette vénérable institution, chapeautée, en 1970, par l'ancien ministre de la culture du Général de Gaulle, André Malraux ; lui donner une véritable dimension d'échanges tant culturels qu'économiques et politiques. Mais celle-ci s'est heurtée à trop de murs, sans même prendre en considération ses propres erreurs d'évaluation. Surtout, son projet ne correspondait pas avec celui qui, qu'on le veuille ou pas, tire encore l'essentiel des ficelles, diplomatiquement parlant, dans ce qui fait l'essentiel de la "francophonie" (à savoir les pays d'Afrique équatoriale) : l'état français.

Pour une première Bande-Dessinée, il faut reconnaître que Bertin Leblanc s'en tire magistralement. Il est soutenu avec bonheur par le trait gentiment caricatural, vif et stylisé de Paul Gros, dont c'est aussi la première BD. Bien que celle-ci soit très différente de son aînée, on y retrouve pour partie la folie douce-amère de "Quai d'Orsay", l'excellentissime ouvrage de Lanzac et Blain qui illustrait, il y a quelques années déjà, le passage d'un certain Dominique de Villepin au ministère des Affaires Étrangères. On y retrouve les même chausse-trappes, les mêmes sourires faux, les mêmes colères rentrées aux conséquences infinies, les mêmes amis de toujours qui vous plantent des poignards dans le dos, la même trépidation voyageuse, le même besoin de contrôler l'incontrôlable à l'aide, entre autre, de ces fameux Éléments de langage qui ne trompe finalement pas grand monde dans cet univers de l'hyper-communication. Éléments de langage : Cacophonie en Francophonie est indéniablement un excellent livre pour qui veut s'introduire, avec beaucoup d'humour et d'humeur, dans cet univers terriblement cloisonné et secret de la diplomatie internationale. Une réussite pour laquelle nous remercions vivement les excellente éditions La Boîte à Bulles, aux titres toujours très léchés et précieux, ainsi que notre bibliothèque virtuelle préférée, Babelio.com, pour cette masse critique ébouriffante !
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