Les multiples visages qui sautent de face en face, jouent les masques des uns et l’apparence des autres
Comment croire que les âmes des voix volées attendraient autour de la terre la libération de leurs corps prisonniers ? Comment croire que ces âmes formaient un Voile transparent ? Comment croire qu’il s’obscurcirait jusqu’à la nuit si l’on continuait à voler les voix ? (p. 28)
Lorsque je pense, c’est bien ma voix qui formule mes pensées dans mon esprit et me les rend audibles intérieurement. Si elle n’a pas de son, c’est qu’elle est l’âme de ma voix. Lorsque je parle, ma voix produit un son audible : c’est le corps de ma voix. L’âme de ma voix, personne ne peut l’entendre à part moi. Mais quand les mots passent de ma pensée à ma voix parlée, l’âme de ma voix prend corps. Et si ce corps est enregistrable, l’âme, elle, ne l’est pas puisqu’elle est inaudible. Enregistrer ma voix, c’est la séparer de son âme. Une fois séparée, l’âme de ma voix se met en attente de son corps à la lisière de l’atmosphère. Toutes les âmes des voix enregistrées contre leur gré attendent à la lisière de l’atmosphère. Ensemble, elles forment le Voile.
Dans ses paroles d'amour, il a le mensonge de la sincérité.
Depuis un mois, Montréal vit dans le crépitement des touffes de bandes magnétiques. Un mois que l’opération K7 a commencé. Pour la première fois, depuis que le voile est devenu une certitude, la population mondiale a répondu d’une seule voix. Il a fallu fouiller les greniers. Les caves. Faire deux pas en arrière dans le temps. Faire revenir au présent le passé des parents, des grands parents. Pour protester. Manifester. Se rebeller. Chacun y est allé de sa visite du dessus du placard, des fonds de tiroirs, des cartons oubliés pour retrouver les cassettes obsolètes. Se procurer des bandes magnétiques était une obligation, pour celui qui voulait faire frissonner son désaccord dans le souffle du vent. L’idée n’était pas de faire entendre les voix de ces bandes magnétiques sur les mini K7 dépoussiérés, mais de faire entendre leur âme à travers leur corps sacrifié