-Tu écris quoi?
-Je m'amuse à réfléchir sur ma position actuelle sur l'état de mon coeur, dans cette époque de ma vie.
Moi, je n'étais pas amoureuse d'Alexandre, alors je n'ai pas pris latin, et je n'étais pas amoureuse de Ludo, alors je n'ai pas fait de théâtre. Moi, je n'ai pris aucune option facultative, et ma seule activité extrascolaire depuis des années, c'est la natation. Et il n'y a rien à en déduire sur ma vie amoureuse : aucun beau gosse ne vient barboter avec moi dans le grand bassin.
Je m'en souviens, j'avais sept ans hier, et demain j'en aurai cent, mais à cet instant, là, j'en ai quatorze, et c'est ce que je suis en train d'écrire, là, à cet instant. (p.8)
Pas grosse, pas mince, pas petite, pas grande, pas jolie, pas moche non plus. Pas blonde. Les yeux pas verts, pas gris, pas violets, pas noisette, pas dorés. Voici mon portrait en négatif.
Quand j'étais petite, je rêvais d'être un poisson.
- Merde. Tu réalises ? C'est fini. On va remettre des chaussettes.
Je continue à écrire.
- On va enfiler des pulls. On aura les lèvres gercées sous le gloss. La nuit tombera au milieu de l'après-midi. La mer sera froide. On deviendra pâles. Tu m'écoutes ? Qu'est-ce que tu écris ?
Je ferme mon cahier. M'étire.
- Lever à sept, coucher à neuf. Fin des soirées à la plage. Mélancolie des dimanches, tristesse des lundis, solitude devant ses copies. Les feuilles mortes se ramasseront à la pelle. Adieu, jolie peau bronzée ! On deviendra pâles.
- Demain, je fais des truffes maison. J'ai trop envie de chocolat. Pas toi?
- Oui. Super.
- Pour le dessert, je me demande... du ca ca?
- Oui ?
- Tu ne m'écoutes pas, constate Virgile.
C'est vrai. Je peux difficilement le nier.