Un dédale de papier m'attirait à l'arrière de la boutique. Je me terrais dans les égouts de Paris, à la veille de la Révolution, et je faisais la connaissance d'une femme dans la Sibérie glaciale et enneigée. Je m'aventurais dans le monde des héros et des dieux et visitais une île isolée, où était emprisonné un prince détrôné.
Blotti dans mon sac de couchage, je me remémorai des noms oubliés, les visages correspondants aussi vivants que s'ils venaient d'être pris en photo : Fiodor Dostoïevski, André Gide, Lord Byron, Rainer Maria Rilke.
Je passais des heures entre les vieilles étagères de bois, chargées de poussière, entouré de papier. Des murs d'ouvrages nous protégeaient des inquiétantes nouvelles de la guerre.
Il commença à se demander si une phrase n'était pas capable de changer un homme, et si le monde n'était pas en train de changer, un homme après l'autre.
Hélas, la guerre avait fait de lui un soldat. La jeunesse devenue taciturne regardait l'intellectualisme s'effondrer avant d'y avoir accès et apprenait à réduire à néant la dignité humaine avant de la comprendre.
Il serra les poings puis constata qu'ils tremblaient : il prit conscience que plus jamais il ne pourrait redevenir celui qu'il avait été. Il avait peur de ce qu'il était devenu : un individu susceptible d'être transformé par un livre.
Les livres étaient des villes où je n’avais jamais mis les pieds, de grands esprits en guise de bâtiments et des phrases pour rues.