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Critique de YvesParis



Aux Etats-Unis, franchir les revolving doors qui séparent la politique du monde de la recherche est monnaie courante. Lawrence Summers a présidé Harvard ; Condoleezza Rice est professeur à Stanford ; Samantha Power enseignait à la John Kennedy School of Governement avant d'être nommée représentant permanent aux Nations-Unies.
Ce genre de parcours est beaucoup moins fréquent en France. Quelques chercheurs sont devenus diplomates (Michel Foucher, Christian Lechervy …). Quelques rares diplomates ont abandonné le Quai d'Orsay pour la recherche (Jean-Pierre Filiu, Philippe Moreau-Defarges …). Mais dans un cas comme dans l'autre, ces changements d'état s'effectuent sans espoir de retour. Maxime Lefebvre a, lui, réussi, à concilier une carrière de diplomate (à moins de 50 ans, il vient d'être nommé représentant permanent de la France auprès de l'OSCE) et d'universitaire (avant son départ pour Vienne, il était professeur à Sciences Po, une fonction autrement plus prestigieuse que celle de maître de conférences, ouverte au tout-venant).

En février 2012, il a soutenu à Paris II une thèse de doctorat en sciences politiques sur travaux dont il publie aujourd'hui chez Armand Colin une version remaniée.
La position qu'il y défend y est d'une grande clarté : la construction européenne ne se fera pas contre mais avec les nations. Regardant vers le passé, elle ne peut pas être comprise sans prendre en compte leur diversité et leur identité : le jacobinisme français, le Sonderweg allemand, l'insularité britannique … Regardant vers l'avenir, elle ne conduira pas, du moins pas à courte échéance, à la réalisation d'un vaste ensemble fédéral mais bien plutôt, comme l'avait prophétisé Jacques Delors, à une « fédération d'Etats-nations », combinant « un véritable lien fédéral et l'existence de nations restées distinctes » (p. 10).

C'est ainsi que Maxime Lefebvre revisite les principaux champs de la construction européenne à travers le prisme des intérêts nationaux.
L'organisation institutionnelle ? Les pays à gouvernement fort (France, Royaume-Uni, Espagne) ont toujours préféré l'approche intergouvernementale alors que, pour les pays fédéraux et régionalisés (Allemagne, Italie), « l'Europe est une superstructure plus naturelle que pour les nations française, britannique ou espagnole » (p. 71).
L'élargissement ? Pour la France, qui redoute la dilution de son influence et le déplacement à l'est voire au sud-est du barycentre européen, c'est un tabou. Pour l'Allemagne, qui a pu voir dans la chute du mur l'espoir d'une renaissance d'une Mitteleuropa qu'elle aurait vocation à dominer, c'est au contraire une opportunité – même si les positions de Berlin et de Paris se rejoignent désormais sur la Turquie.
le rapport à l'économie ? Les pays riches de l'Europe du Nord renâclent de plus en plus à assumer les errements budgétaires des pays du Club Med
La politique extérieure ? La France et le Royaume-Uni ont tous deux des traditions de grande puissance mondiale. Les autres pays de l'Union n'ont pas la même ambition. Ces divergences expliquent la difficulté à faire émerger une politique de sécurité et de défense commune.

Maxime Lefebvre n'est pas un souverainiste qui, vent debout contre l'Europe de Bruxelles, entend s'opposer à la construction européenne. Son ambition est à la fois plus modeste et plus réaliste. En replaçant systématiquement l'analyse dans le temps long et dans l'anthropologie (Cf. l'approche de Emmanuel Todd à partir des systèmes familiaux), il veut éclairer la diversité des réflexes nationaux dans le jeu européen. Et souligner avec Vivien Schmidt – la présidente de son jury de thèse – un paradoxe : les nations n'ont plus que la politique sans les politiques (politics without policies) tandis que l'Union fait désormais les politiques sans la politique (policies without politics).
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