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Critique de JIEMDE


Qui dit NY pense à Auster, L.A. à Fante, Frisco à Maupin ou Brooklyn à Boyle… Quant à Boston, l'association avec Dennis Lehane apparaît comme une évidence. Et six ans après son dernier (et oubliable) livre, il y retourne avec le Silence, traduit par François Happe, et on le retrouve en bien meilleure forme !

En 1974, alors que les États-Unis achèvent leur retrait du Vietnam, les actions de déségrégation s'intensifient et les autorités se préparent à lancer les premières opérations de « busing », transportant des élèves noirs dans des écoles blanches et vice-versa, pour favoriser la mixité.

Mais à Boston la grise, la diaspora irlandaise du quartier de Southie dont fait partie Mary-Pat n'y est pas du tout prête, tout comme la mafia locale aux mains des mêmes Irlandais (les « Mick » ou les « Paddy »), qui n'apprécient rien tant que la discrétion et le calme pour que les affaires tournent.

« Elle ne peut pas en vouloir aux gens de couleur d'avoir envie de s'échapper de leur trou merdique, mais ça n'a pas de sens de vouloir l'échanger contre son trou merdique à elle »

C'est dans ce contexte qu'un matin, Mary Pat constate que sa fille Jules, 17 ans, n'est pas rentrée de sa sortie nocturne et s'inquiète au fur et à mesure que les jours passent sans nouvelles. D'autant que dans le même temps, Augie Williamson, un jeune noir qui s'est égaré dans le mauvais quartier, est retrouvé écrasé sous les roues du métro…

Que Mary Pat se tourne vers ses relations, la police ou les boss de la mafia locale avec qui elle est particulièrement liée, la réponse et la même : attendre. C'est mal la connaître et prenant elle-même les choses en main, elle va vite découvrir la face cachée de sa propre communauté. Ça suffit pour le pitch sinon je vais vous raconter le livre.

Disons-le direct, je l'ai dévoré d'une seule traite au cours d'une (trop longue) nuit d'insomnie auquel il convenait parfaitement. Et j'ai apprécié de retrouver le ton, la verve, l'ambiance, la dynamique et la construction impeccable et addictive du Lehane des débuts.

Tu as les auteurs qui font du polar et puis, à part, tu as Lehane, celui pour qui ça parait si facile d'écrire, un peu comme le mec qui fait du vélo sans les mains, qui reste sous l'eau plus de deux minutes, qui sait toucher son nez avec sa langue ou qui a chopé 4 000 abonnés sur Instagram en 2 semaines (enfin ça, on sait comment il faut faire…).

Dans le Silence, tout est propre, nickel : la trame bien sûr garantissant l'effet pageturner ; l'absence totale d'artifices, qui garantit la crédibilité ; la construction, qui ne cherche jamais l'inutile surcomplication (si ça existe ce mot !) ; mais aussi les dimensions sociétales et historiques, sans omettre ce regard amoureux porté sur sa ville de coeur.

Lehane nous donne à voir à travers Mary-Pat, un monde qui bascule et des repères qui changent, dans un microcosme bostonien à deux vitesses, entre ceux qui ont anticipé l'inéluctable et ceux qui le subissent accrochés au statu-quo, n'entendant pas le silence annonciateur du changement dans le brouhaha du chaos en marche.

« Mais vous n'entendez pas
Qu'est-ce que je n'entends pas ?
(../…)
Le silence »

Et tranchant le jeu de ping-pong des différentes communautés qui se stigmatisent mutuellement, Lehane renvoie chaque protagoniste à sa propre responsabilité face aux origines du drame.

« Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l'avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes (…) ont été lâchés dans le monde pareils à des grenades bourrées de haine et de stupidité ».

Addictif et puissant !
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