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Mary Pat Fennessy. Ce nom, je ne l'oublierai pas. Cela fait très longtemps que je n'avais pas fait la rencontre d'un personnage féminin d'une telle envergure. Quarante-deux ans. Deux boulots pour joindre les deux bouts dont un d'aide-soignante dans une maison de retraite. Un premier mari, mort jeune. Une deuxième mariage effondré. Un fils mort d'overdose au retour du Vietnam. Une fille de dix-sept ans, Jules, tout ce qu'il lui reste. Mais Jules disparait après une sortie entre amis, la même nuit où un jeune Noir est retrouvé mort près d'une station de métro.

Le scénario est immédiatement propulsif avec son mystère à trois volets : où est Jules ? Qu'est-il arrivé au jeune Noir ? Les deux événements sont-ils liés ? D'autant plus propulsif que c'est Mary-Pat qui se lance dans sa propre enquête voyant que l'officielle n'avance pas. Et que Mary-Pat, c'est un bulldozer.

Mary-Pat, c'est le pur produit de son terroir, South Boston, quartier blanc de la classe ouvrière irlandaise. Une dure à cuire qui n'a jamais connu que sa communauté et en partage totalement les valeurs, y compris les plus rances. Et durant cet été 1974, ça chauffe.

Pour mettre fin de facto de la ségrégation raciale dans les écoles publiques, le juge fédéral Garrity a décidé la mise en place du busing : le transport par bus des enfants des quartiers blancs vers des écoles à majorité noire et vice versa. Ce sont les quartiers pauvres de South Boston et Roxbury qui sont choisis les premiers, déclenchant la fureur des Américano-irlandais de Southie. le contexte historique est bouillonnant et donne immédiatement un surcroit d'intensité et d'épaisseur au drame vécue par Mary-Pat dans cette poudrière attisée par les tensions raciales.

« Bobby est frappé de constater que quelque chose d'irrémédiablement détruit et de totalement indestructible à la fois vit au plus profond de cette femme. Et ces deux caractéristiques ne peuvent pas coexister. Une personne détruite ne peut pas être indestructible. Et pourtant, Mary Pat Fennessy est assise là devant lui, détruite mais indestructible. »

La disparition de sa fille remet tout en question chez la mère, et notamment le mantra selon lequel les Irlandais de South Boston peuvent compter les uns sur les autres, formant un vrai «  peuple ». Une révolution s'opère en elle lorsqu'elle se heurte au silence, l'omerta même, imposé par le parrain local. Par désespoir, elle est prête à tout faire péter. Animée par une colère et une haine telluriques, elle part en guerre pour retrouver sa fille, avec la détermination d'une héroïne de tragédie grecque.

Aux cotés de Mary-Pat la guerrière obstinée, le lecteur se retrouve pris dans une intrigue remarquablement menée, emplie d'un puissant souffle romanesque et d'une urgence renversante. Entre scènes d'action saisissantes, denses moments intimistes et dialogues comme pris sur le vif, sa quête est bouleversante.

Et c'est d'autant plus fort que Mary-Pat n'est pas une héroïne « sympathique »
au départ. Elle est archi violente, toujours prête à dégainer ses poings ou son couteau pour se lancer dans la baston. Surtout, elle est imprégnée des préjugés racistes de son époque et de son quartier. Même si elle commence à déconstruire tout ce qu'elle pensait a priori, on sent bien qu'il n'y a pas de rédemption possible pour elle, juste une vengeance à accomplir , celle de ceux qui ont tout perdu et qui pleurent sous le poids inéluctable de la violence transmise par des préjugés mortifères.

Un grand Lehane, ( quasi ) dans la lignée de Mystic River et Un Pays à l'Aube, porté par une charismatique héroïne à laquelle l'auteur offre une déchirante élégie furiosa conclue en un final ébouriffant.
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Le silence durait déjà depuis 2017, mais après six ans d'absence revoilà Dennis Lehane aux manettes d'un polar noir bouleversant et intelligent, mêlant intrigue policière, racisme et drame familial sur fond historique.

S'inspirant d'une scène marquante de son enfance, l'auteur dont les ouvrages ont été adaptés par Clint Eastwood (Mystic River), Ben Affleck (Gone Baby Gone) et Martin Scorsese (Shutter Island) nous propulse à Boston en 1974. Dennis Lehane n'avait que neuf ans à l'époque où sa ville natale s'est retrouvé en pleine ébullition suite à la décision d'un juge fédéral qui, afin de favoriser la mixité, venait de décréter la déségrégation des écoles publiques de la région de Boston. Afin de briser les frontières entre des quartiers populaires majoritairement blancs et majoritairement noirs, les autorités ont en effet instauré un système appelé « busing », affrétant des bus pour transporter des élèves afro-américains dans les écoles exclusivement blanches et vice-versa.

C'est dans cette ambiance de révolte historique que Dennis Lehane invite à suivre les pas de Mary Pat Fennessy, une Irlandaise pur jus issue de la classe ouvrière du quartier irlandais de South Boston, qui ne voit pas cette nouvelle loi d'un bon oeil et qui compte d'ailleurs aller manifester afin d'éviter que sa fille de dix-sept ans se retrouve quotidiennement dans un quartier peuplé de nègres. Et oui, l'héroïne de ce roman est une femme forte, élevée à la dure et affublée d'un caractère bien trempé, mais c'est également une irlandaise bagarreuse, portée sur la boisson et foncièrement raciste…comme la plupart des gens de sa communauté… même si cela n'est pas forcément une excuse valable.

Dennis Lehane nous plonge donc une nouvelle fois au coeur d'une communauté irlandaise de Boston pauvre, raciste, ségrégationniste et pas vraiment étrangère aux violences raciales qui font rage. Bourrée de préjugés transmis au fil des générations par cette communauté bâtie sur des liens familiaux, mafieux et communautaires forts, Mary Pat va progressivement prendre conscience des dangers de cet engrenage destructeur visant à entretenir une haine basée sur la différence, pour finalement incarner ce merveilleux cri de rage qui pousse à crier STOP au racisme !

« Appelez-les niaks, appelez-les nègres, appelez-les youpins, micks, métèques, ritals ou bouffeurs de grenouilles, appelez-les comme vous voulez, pourvu que vous leur colliez un nom quelconque qui enlève une couche d'humanité à leur corps quand vous les évoquez. C'est ça le but recherché. Si vous pouvez faire ça, vous pouvez faire en sorte que des jeunes hommes traversent des océans pour aller tuer d'autres jeunes hommes, ou vous pouvez aussi les faire rester ici chez eux, et leur faire faire la même chose. »

« le Silence » est donc surtout une prise de conscience, un cri du coeur émanant d'un magnifique portrait de femme, qui invite à réfléchir sur les origines du racisme actuel aux États-Unis, à s'ouvrir au changement, à s'extraire d'un héritage ségrégationniste, à ne plus transmettre bêtement la haine de l'autre à la génération suivante car la misère sociale ne doit pas forcément aller de pair avec la pauvreté intellectuelle.

« Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était quelque chose de normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l'avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes tels que vous, ont été lâchés dans le monde pareils à des putains de grenades bourrées de haine et de stupidité… »

Coup de coeur !
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Bien que l'ayant conseillé plusieurs fois suite à des retours dithyrambiques de personnes dont j'apprécie les gouts, je n'avais jamais pris le temps de lire Dennis Lehane. Cela dit, je ne suis pas la seule à conseiller des livres que je n'ai pas lus. Se reconnaitra qui voudra ;-)
Et je ne l'ai toujours pas lu, mais … écouté. Et celui-ci se prêtait bien à l'écoute. Il n'était pas nécessaire de le lire d'une traite, la fin étant assez prévisible, sans que cela ne soit un défaut, bien au contraire. J'ai pu donc savourer le texte de Dennis Lehane, tranquillement. La voix de la narratrice est très expressive et transmet parfaitement les émotions. Elle excelle à interpréter les différents personnages, à formuler les onomatopées. Une des meilleures narratrices que j'ai écoutées depuis ma découverte des livres audio.

On est en 1974 à South Boston, dit Southie. La rentrée scolaire s'annonce explosive. Pour mettre fin à la ségrégation envers les noirs, un juge a décidé d'envoyer des élèves noirs dans un lycée de blancs, et réciproquement. La fille de Mary Pat Fenessey est concernée, mais bientôt cela ne sera plus le souci de Mary Pat. Sa fille disparait, le soir où un jeune noir est tué dans une station de métro. Commence alors une longue quête pour rompre le silence et découvrir ce qui s'est passé.

Mary Pat est une sacrée bonne femme, irlandaise d'origine comme beaucoup dans cette cité où elle vit. Son talent principal, savoir se bagarrer, et depuis toute petite. Et ce talent lui sera bien utile dans sa croisade contre le silence. Son premier mari est mort, son deuxième l'a quittée et son fis a fait une overdose, au retour du Vietnam. Jules est tout ce qui lui reste et sa disparition l'achève. Plus rien ne peut l'arrêter et surtout pas la peur des conséquences, peur qui maintient les habitants de Southie dans la volonté de ne pas voir ce qui dérange, et surtout pas les exactions commis par la bande de Marty Butler qui règne sur le quartier.

Mary Pat va enquêter à sa manière, beaucoup plus efficace que celle de l'inspecteur Bobby, deuxième personnage clé de ce roman. Et une curieuse relation va se nouer entre ces deux-là, tous les deux d'origine irlandaise, l'une raciste, l'autre non, l'une désespérée, l'autre rencontrant l'espoir d'une vie meilleure, l'une dont les enfants ne sont plus là, l'autre papa d'un petit garçon de neuf ans bien vivant. Ils vont se parler, à plusieurs reprises. Il ne pourra pas la faire revenir en arrière, juste peut-être lui faire prendre conscience de l'engrenage du racisme et des violences. Et c'est passionnant de voir comment cette femme va commencer à réfléchir sur tout cela, de comprendre avec elle comment ce racisme est profondément ancré dans le coeur des blancs de Southie, transmis de générations en générations. Cette haine , ancrée en eux, c'est la raison pour laquelle le deuxième mari de Mary Pat est parti
« Mais c'est ce qu'il a dit le jour où il est parti. Il a dit : “Ta haine me fait honte.” »

J'ai aimé profondément cette femme, elle m'a émue, elle est raciste, violente, bourrée de préjugés, mais elle aimait sa fille, mémé si elle ne lui montrait pas beaucoup, et elle est dévastée par sa disparition. Elle va réagir de la seule façon qu'elle maitrise, c'est son talent, ce à quoi elle est bonne , la bagarre :
« Chaque fois qu'une personne s'en est prise à elle, elle a riposté, tout au long de son histoire, contre tous ceux qui l'ont maltraitée, qui lui ont tiré les cheveux, une oreille ou le bout d'un sein, tous ceux qui lui ont hurlé dessus, qui lui ont mal parlé, qui l'ont frappée avec une ceinture ou une chaussure. Tous ceux qui l'ont fait se sentir comme une petite fille effrayée, se demandant dans quel foutu merdier elle était née. »

Et n'oublions pas l'écriture, forte, qui prend aux tripes et ne vous lâche pas. Un formidable roman.
J'avais raison de conseiller l'auteur ;-)
Merci à NetGalley et aux éditions Audiolib pour ce partage #LeSilence #NetGalleyFrance
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Été 1974, Boston. La vie n'a pas toujours épargné Mary Pat Fennessy. Un premier mari mort jeune, un second qui l'a quittée, un fils, Noel, décédé d'une overdose peu après son retour du Vietnam, un boulot d'aide soignante dans un établissement pour personnes âgées qui couvre à peine ses dépenses. Heureusement qu'elle a sa fille, Jules, pour qui elle donnerait tout. Aussi, lorsqu'un juge fédéral a décrété qu'il était temps pour les élèves blancs et noirs de troquer leurs places sur les bancs de l'école, afin de lutter contre la ségrégation scolaire, elle fera partie des parents d'élèves qui iront manifester contre le busing, Jules devant intégrer, à la rentrée, l'école de Roxbury. Dans tout South Boston, les esprits commencent à s'échauffer. C'est dans cette ambiance tendue qu'un matin, Mary Pat découvre que sa fille n'est pas rentrée de la nuit, alors qu'elle sortait avec sa meilleure amie, Brenda, et son petit ami, Rum. Ce même soir, un jeune noir, Auggie Williamson, le fils d'une de ses collègues, meurt, percuté par une rame de train. Mary Pat va tout faire pour retrouver Jules...

Voilà déjà six ans que Dennis Lehane n'avait pas écrit un roman, occupé qu'il était à écrire surtout pour la télé. Ces six années valaient-elles le coup d'attendre ? Assurément oui ! Car il nous offre avec le silence un roman fort, puissant, tout à la fois tragique et émouvant, sur fond historique passionnant. de ses souvenirs de l'été 74 et à partir d'un sombre fait divers, celui d'une Mexicaine qui s'est attaquée aux membres d'un cartel de drogue qui avait tué sa fille, l'auteur déroule alors toute une histoire criante de vérité. Celle de Mary Pat, dont la fille a disparu et qui va oser s'en prendre à plus fort qu'elle, celle de la ville de Boston en proie au racisme et aux manifestations, de ces gamins intrépides, de ces cartels qui ont la mainmise sur les quartiers, cette vie difficile à l'horizon bouché dans ce quartier de Southie. Mary Pat Fennessy est de ces femmes que l'on ne peut oublier. Une Irlandaise au fort caractère, bourrée de préjugés, qui ne sait garder ni sa langue ni ses mains dans les poches, fumeuse, un brin portée sur la boisson et raciste. Et pourtant, l'on y décèle, au fil des événements, une femme à fleur de peau, une mère courageuse dotée d'un grand coeur et qui, peu à peu, va revoir ses propres jugements et s'ouvrir au changement. Autour d'elle, des personnages secondaires violents, lâches, téméraires, racistes... Seul ce flic, Bobby Coyne, en charge de l'enquête, vient apporter un peu de légèreté. D'une écriture forte et travaillée, Dennis Lehane dénonce les préjugés raciaux, la merchandisation de la drogue et la spirale de la violence.
À la fois noir, historique et social, un roman puissant et bouleversant...
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Qui dit NY pense à Auster, L.A. à Fante, Frisco à Maupin ou Brooklyn à Boyle… Quant à Boston, l'association avec Dennis Lehane apparaît comme une évidence. Et six ans après son dernier (et oubliable) livre, il y retourne avec le Silence, traduit par François Happe, et on le retrouve en bien meilleure forme !

En 1974, alors que les États-Unis achèvent leur retrait du Vietnam, les actions de déségrégation s'intensifient et les autorités se préparent à lancer les premières opérations de « busing », transportant des élèves noirs dans des écoles blanches et vice-versa, pour favoriser la mixité.

Mais à Boston la grise, la diaspora irlandaise du quartier de Southie dont fait partie Mary-Pat n'y est pas du tout prête, tout comme la mafia locale aux mains des mêmes Irlandais (les « Mick » ou les « Paddy »), qui n'apprécient rien tant que la discrétion et le calme pour que les affaires tournent.

« Elle ne peut pas en vouloir aux gens de couleur d'avoir envie de s'échapper de leur trou merdique, mais ça n'a pas de sens de vouloir l'échanger contre son trou merdique à elle »

C'est dans ce contexte qu'un matin, Mary Pat constate que sa fille Jules, 17 ans, n'est pas rentrée de sa sortie nocturne et s'inquiète au fur et à mesure que les jours passent sans nouvelles. D'autant que dans le même temps, Augie Williamson, un jeune noir qui s'est égaré dans le mauvais quartier, est retrouvé écrasé sous les roues du métro…

Que Mary Pat se tourne vers ses relations, la police ou les boss de la mafia locale avec qui elle est particulièrement liée, la réponse et la même : attendre. C'est mal la connaître et prenant elle-même les choses en main, elle va vite découvrir la face cachée de sa propre communauté. Ça suffit pour le pitch sinon je vais vous raconter le livre.

Disons-le direct, je l'ai dévoré d'une seule traite au cours d'une (trop longue) nuit d'insomnie auquel il convenait parfaitement. Et j'ai apprécié de retrouver le ton, la verve, l'ambiance, la dynamique et la construction impeccable et addictive du Lehane des débuts.

Tu as les auteurs qui font du polar et puis, à part, tu as Lehane, celui pour qui ça parait si facile d'écrire, un peu comme le mec qui fait du vélo sans les mains, qui reste sous l'eau plus de deux minutes, qui sait toucher son nez avec sa langue ou qui a chopé 4 000 abonnés sur Instagram en 2 semaines (enfin ça, on sait comment il faut faire…).

Dans le Silence, tout est propre, nickel : la trame bien sûr garantissant l'effet pageturner ; l'absence totale d'artifices, qui garantit la crédibilité ; la construction, qui ne cherche jamais l'inutile surcomplication (si ça existe ce mot !) ; mais aussi les dimensions sociétales et historiques, sans omettre ce regard amoureux porté sur sa ville de coeur.

Lehane nous donne à voir à travers Mary-Pat, un monde qui bascule et des repères qui changent, dans un microcosme bostonien à deux vitesses, entre ceux qui ont anticipé l'inéluctable et ceux qui le subissent accrochés au statu-quo, n'entendant pas le silence annonciateur du changement dans le brouhaha du chaos en marche.

« Mais vous n'entendez pas
Qu'est-ce que je n'entends pas ?
(../…)
Le silence »

Et tranchant le jeu de ping-pong des différentes communautés qui se stigmatisent mutuellement, Lehane renvoie chaque protagoniste à sa propre responsabilité face aux origines du drame.

« Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l'avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes (…) ont été lâchés dans le monde pareils à des grenades bourrées de haine et de stupidité ».

Addictif et puissant !
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La grande famine irlandaise avait fait un million de morts au milieu du XIX siècle, et les survivants avaient immigré aux USA. Cette immigration massive de pauvres parmi les pauvres crée avec le temps un communautarisme, basé sur le fait d'avoir vécu les mêmes tourments, puis sur l'aide réciproque que chacun est en droit d'attendre de ses voisins, du vivre-ensemble.
Les Irlandais ne forment pas le seul groupe identitaire : car il y a les Polonais, les Italiens et les Afro-Américains, entre autres, regroupés dans le quartier de Roxbury à Boston en 1974.
Et lorsque, par souci d'intégration et d'égalité, et suite aux neuf ans où les Noirs ont poursuivi en justice (pour injustice) le comité de l'enseignement et ont obtenu gain de cause, un juge décide que les deux lycées de ces deux quartiers pauvres allaient s'échanger les élèves entre eux (le busing ): Roxbury et les Irlandais de South Boston se rebellent…
Bonne question, mauvaise réponse.
Parmi eux, Mary Pat, une forte femme habituée à subir la castagne et à la donner, réputée pour n'avoir pas de bouton d'arrêt. Son fils Noel, malgré ce qu'elle pense, imite un chimpanzé en parlent des Noirs, et laisse comme une graine de racisme, avec sa généralisation souvent à partir de rien, d'un mot entendu, d'une scène entrevue : le racisme, comme la calomnie, fait des petits, enfle et se répand, il en restera toujours quelque chose. Et il meurt, non pas au Vietnam, mais de la drogue.
« Seigneur, comme il lui manque, le sourire de son fils. Elle avait tout de suite été frappée par ce large sourire en coin, quand il était sur son sein, ivre du lait maternel. Ce sourire avait ouvert une cavité dans son coeur et Mary Pat a beau appuyer dessus de toutes ses forces, elle refuse de se refermer. »
L'amour de Mary Pat pour son fils Noel, pour ses deux maris, l'un mort de drogue, l'autre parti, et pour ce fils, devient invivable quand sa fille Jules ne rentre pas un soir, puis d'autres soirs. Non seulement elle ne comprend pas pourquoi les choses sont ce qu'elles sont, mais, en plus, elle perd tout. Tout.
En tant que « Southie », habitante d'un quartier irlandais ouvrier, elle constate que les pauvres, Noirs ou Blancs, ne le sont pas parce qu'ils se laissent aller, ou qu'ils convoitent leur rôle de victime, ou qu'ils ne méritent pas mieux. Et encore moins s'ils essaient de s'échapper à leur sort, car les riches de ce monde ont intérêt aux affrontements entre eux.
Mais, voilà, sa fille ne rentre pas, au moment où le fils d'une de ses collègues noires, se fait lyncher : Marie Pat comprend vite que c'est irrémédiable.
Sa rencontre avec Bobby, flic irlandais lui aussi, lui aussi ancien du Vietnam, et lui aussi ancien drogué, comme Noel, instaure une compréhension mutuelle.
Personnage complexe, Mary Pat compte sur sa communauté, bien qu'à la fois elle n'y participe pas : nous comprenons grâce à elle les ressorts du racisme, une calomnie qui enfle, qui germe, qui rampe et qui éclate : un mensonge, dit et redit à des enfants qui n'y croient pas, et qui finissent par ne plus résister, et répètent, comme elle l'a fait, dans une certaine mesure, à ses enfants.
« Jusqu'à ce qu'ils deviennent le genre de personne capable de poursuivre un pauvre garçon dans une station de métro et lui défoncer le crâne avec une pierre. »

Et puis, le silence, celui qu'elle demande à Bobby d'écouter.
Et d'entendre.
Nous n'entendons pas ce que nous disent nos proches.
le silence.
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Nous sommes dans une banlieue pauvre de Boston, Southie, habitée par la communauté irlandaise, à l'été 1974. Mary Pat Fennessy travaille dans une maison de retraite ; elle a perdu son fils Noel d'une overdose d'héroïne. Et maintenant elle est très inquiète car un soir sa fille Julia (dite Jules) ne rentre pas à la maison. La même nuit, un jeune Noir meurt percuté par une rame de métro, et il ne s'agit peut-être pas d'un accident. Les deux événements sont-ils liés ? Parallèlement, Southie est en émoi car la politique de déségrégation dite de « busing » va obliger certains jeunes du quartier à aller au lycée dans le quartier noir tandis que certains jeunes Noirs iront dans le lycée de South Boston. Les Irlandais sont vent debout contre cet échange et manifestent bruyamment en laissant s'exprimer leur racisme. Mary Pat va tout faire pour retrouver sa fille mais va aussi se heurter au silence du titre. Tout le monde est terrorisé par le caïd local, Marty, et personne ne veut parler à Mary Pat. Elle va devoir employer les grands moyens. ● Malgré le rythme assez lent, surtout dans la première moitié, j'ai bien apprécié ce roman qui montre le profond racisme enraciné dans la société américaine des années soixante-dix, aux échos contemporains. ● Dennis Lehane mène sa démonstration de façon à la fois systématique et convaincante, en prenant son temps, sans esbroufe. ● La police, principalement en la personne de Michael « Bobby » Coyne, fait ce qu'elle peut, mais les grands manitous de la mafia irlandaise bénéficient de protecteurs très hauts placés grâce à la corruption. ● Les personnages sont très bien caractérisés, surtout le personnage principal, Mary Pat, une mater dolorosa violente et vindicative, écorchée vive par la perte de son fils et la disparition de sa fille, même si elle a parfois des allures de super-héroïne tant elle parvient à se sortir de (presque) toutes les situations, y compris face aux gangs de la drogue. ● « Ce n'est pas la première fois – ni même la quatre-vingtième – que Bobby se met à haïr le genre humain. Il se demande si le crime le plus impardonnable commis par Dieu n'a pas été de nous créer, tout simplement. » ● « C'est un dur à cuire, non parce qu'il est particulièrement dur, mais parce qu'il est trop con pour savoir qu'on n'est pas obligé de se comporter de cette façon. » ● Si ce roman de vengeance n'atteint pas les sommets de Shutter Island ou de Mystic River, et si les dialogues ne sont quand même pas « sublimes » comme il est écrit dans le magazine Lire, il se lit cependant très bien et constitue une lecture à la fois poignante et passionnante.
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Sous quelle étoile est-elle née cette femme, confrontée à la violence dès son plus jeune âge, violence considérée comme légitime puisqu'elle venait de ses géniteurs. Et quelle route chaotique !

Si le roman peut paraître long à certains moment, nombre de pages sont indispensables pour apprendre à connaître ce personnage central du récit, non pour excuser ni pour compatir, mais pour comprendre ce parcours et pour se mettre à sa place : et c'est ce que j'ai pu ressentir souvent en cours de lecture : comment réagirais - je si, comme l'héroïne, on enlevait ma fille, que je devais me débattre pour la retrouver, me heurter à une communauté qui a fait voeux de silence, aidée par un parrain qui a savamment tissé une toile d'araignée pour entretenir la peur, le doute, l'inaction des autorités et pour paralyser la population.

De quoi dispose-t-elle ?

D'une fameuse conviction, d'une certaine force physique, comme de persuasion, de suite dans les idées, du langage approprié pour faire passer ses idées, j'ai d'ailleurs beaucoup apprécié les dialogues et le répondant de Marie-Pat.

Et c'est dans cette ambiance de ségrégation que se déroule d'histoire, une histoire sordide qui prend sa source dans les générations antérieures, un racisme qui se transmet insidieusement dans des communautés qui, en toute logique et bonne foi, rejette ce qui est différent, ce qui ne correspond pas à leur façon de vivre.

Pour faire passer son message, l'auteur commence doucement, par un certain questionnement émanant de Marie-Pat, puis s'ensuivent quelques réflexions des collègues, pour cheminer vers les horreurs que peuvent proférer les blancs à l'encontre des populations de couleur. Il n'hésite pas à employer des termes d'une violence inouïe, sans doute beaucoup plus employés dans les années 70.

Je me suis sentie bien malmenée tout au long de ce livre, malmenée par l'injustice, malmenée par le peu de belles personnes rencontrées sur le chemin de Marie-Pat, malmenée par les individus qui mettent leur génie au service du mal, malmenée par une fin pour laquelle je me suis demandé si la justice s'exerçait sans vraiment pouvoir répondre à cette question.

Bel exploit de l'auteur, le message est passé, c'est le plus important.
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Denis Lehane, si vous ne l'avez pas lu, vous l'avez sans doute "vu", car parmi ses oeuvres on compte des adaptations célébrissimes :"Mystic" River", "Gone baby gone", ou encore "Shutter island" pour ne citer que les plus connues.
Et à mon humble avis, ce "Silence" pourrait bien faire l'objet également d'un film, tant son héroïne est marquante et son décor très cinématographique.
Nous sommes à Boston, en 1974, ce n'est pas si loin n'est-ce pas ? Et un juge vient de prendre une décision dont il est loin d'imaginer les conséquences : pour mettre fin à la ségrégation, il imagine d'envoyer des élèves d'un quartier populaire blanc (et irlandais !), Southie, dans des lycées d'un quartier noir, Roxbury. Il appelle ça le "busing". Alors oui, ça va faire le buzz, même si on ne connaissait pas ce terme à l'époque, mais alors un très mauvais buzz. La communauté irlandaise de Southie n'est pas du tout prête à envoyer ses enfants dans des lycées de Noirs, et parmi les familles concernées, celle de Mary-Pat Fennessy, du moins ce qu'il en reste. Elle a perdu son premier mari, le second est parti, son fils Noel a sombré dans la drogue après son retour du Vietnam et en est mort. Elle n'a plus que Jules, sa fille de 17 ans, à laquelle elle tient plus que tout malgré les accrochages fréquents. Or voilà qu'un soir, Jules ne rentre pas, après une sortie avec des amis. Justement ce soir-là, un jeune noir, Auggie Williamson, fils d'une collègue de Mary-Pat est retrouvé mort, heurté par un train, du moins c'est ce que les premières constatations laissent croire. Très vite, il apparaît que la disparition de Jules et la mort d'Auggie coïncident. Et c'est là que le tempérament volcanique et la volonté farouche de Mary-Pat vont se révéler. Elle sera prête à tout, y compris à se mettre au ban de la petite société très fermée de Southie, et à défier les caïds locaux pour savoir ce qu'il est advenu de sa fille.

Elle force l'admiration, cette mère déterminée à découvrir la vérité, même si elle a tous les défauts de sa petite communauté renfermée sur elle-même. Ici, ça trafique, ça picole, ça ouvre grand la gueule pour affirmer qu'on vaut bien mieux que ces assistés de Noirs, et ça n'hésite pas à cogner dur, y compris en famille. Mais on est solidaire, on se tient les coudes quand un membre est dans la détresse...enfin pas toujours, car quand Mary-Pat va oser briser certains tabous, il n'y aura vite plus grand-monde pour la soutenir. A part un flic, peut-être...Qu'importe, elle ira jusqu'au bout pour avoir le fin mot de l'histoire.

Le contexte historique est réel, la ville de Boston a connu ces émeutes liées aux mesures anti-discrimination. Les quartiers sont si bien dépeints qu'on s'y croirait, et les habitants constituent une galerie de portraits saisissante. Mary-Pat est l'une de ces héroïnes qui vous marquent, avec tous ses défauts qui la rendent si humaine, et même si l'histoire en elle-même n'est pas particulièrement originale, elle est si bien racontée qu'on est totalement immergé dedans. Je lisais un autre roman parallèlement, je peux vous dire qu'il a un peu souffert de la comparaison, même s'il s'agissait d'une histoire totalement différente.

Il n'y a pas à tortiller, Denis Lehane sait y faire pour vous accrocher, il le prouve une nouvelle fois avec ce roman que je n'oublierai pas de sitôt. Et que j'espère voir porté à l'écran !
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PPPfffiioouuu …. Mais qu'est-ce qui se passe en ce moment ?
Nouveau livre encensé par mes amis de babélio, et à nouveau, déception au bout du fil…
Comme pour ma précédente lecture, j'ai trouvé que l'intrigue mettait un temps fou à démarrer à l'image de Bess, la vieille guimbarde de l'héroïne Mary Pat Fennessy.
J'ai erré pendant de nombreuses heures au volant de Bess dans les dédales du quartier de Southie, le quartier irlandais de Boston dans lequel est née, et a vécu toute sa vie Mary Pat. Parce que naître là, c'est y vivre, puis y mourir, pas d'échappatoire possible dans la tête de ses habitants.
Comme avec une bonne vieille DeLorean, j'ai fait marche arrière en 1974, à l'époque d'une ségrégation raciale qui bien qu'abolie par la loi était encore omniprésente, en particulier dans ce quartier pauvre, dont les habitants blancs se consolaient de leur triste sort en méprisant ceux qui leur semblaient alors encore plus bas qu'eux dans l'échelle sociale. Pour rappel, ce n'est qu'en 1968 que le Civil Rights Act a interdit toutes les lois et réglementations ségrégatives sur l'ensemble des États-Unis…
Dennis Lehane braque le projecteur dans la tête de Mary Pat, personnage qui n'a rien de très sympathique : raciste, pas éduquée, bornée, pleine de préjugés, toujours prompte à régler ses problèmes avec ses poings plutôt qu'avec ses neurones, à enfoncer les portes ouvertes sans se poser de questions (ou alors trop tard) …
Mary Pat a quelques circonstances atténuantes, les préjugés de l'époque, des parents violents, pas de perspectives, le décès de son premier mari, sa séparation d'avec le deuxième, le décès de son fils mort par overdose.
La seule personne qui la raccroche à la vie, sa fille Jules, disparait sans crier gare un soir qu'elle est sortie avec une bande d'amis. le même soir, le fils d'une collègue noire décède dans des circonstances troublantes, heurté par un train alors qu'il semble être victime d'une course poursuite.
Mary Pat va remuer ciel et terre pour retrouver sa fille, prête à tout dynamiter dans le quartier, elle n'a plus rien à perdre…
La dernière partie du roman m'a vraiment plu, d'où tout de même les 3 étoiles, mais enfin que c'est long à démarrer !!! Pourquoi avoir planté le décor pendant aussi longtemps ? Je pensais lire un thriller haletant, j'en ai été pour mes frais …
Cette lecture ne me restera pas en mémoire… Je n'ai pas été non plus particulièrement accrochée par le style d'écriture, certains dialogues sonnaient un peu faux parfois.
Cependant je ne resterai pas sur ce demi-échec, et je me suis promis que je lirai un autre Lehane un de ces jours…
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