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Critique de Kirzy


Mary Pat Fennessy. Ce nom, je ne l'oublierai pas. Cela fait très longtemps que je n'avais pas fait la rencontre d'un personnage féminin d'une telle envergure. Quarante-deux ans. Deux boulots pour joindre les deux bouts dont un d'aide-soignante dans une maison de retraite. Un premier mari, mort jeune. Une deuxième mariage effondré. Un fils mort d'overdose au retour du Vietnam. Une fille de dix-sept ans, Jules, tout ce qu'il lui reste. Mais Jules disparait après une sortie entre amis, la même nuit où un jeune Noir est retrouvé mort près d'une station de métro.

Le scénario est immédiatement propulsif avec son mystère à trois volets : où est Jules ? Qu'est-il arrivé au jeune Noir ? Les deux événements sont-ils liés ? D'autant plus propulsif que c'est Mary-Pat qui se lance dans sa propre enquête voyant que l'officielle n'avance pas. Et que Mary-Pat, c'est un bulldozer.

Mary-Pat, c'est le pur produit de son terroir, South Boston, quartier blanc de la classe ouvrière irlandaise. Une dure à cuire qui n'a jamais connu que sa communauté et en partage totalement les valeurs, y compris les plus rances. Et durant cet été 1974, ça chauffe.

Pour mettre fin de facto de la ségrégation raciale dans les écoles publiques, le juge fédéral Garrity a décidé la mise en place du busing : le transport par bus des enfants des quartiers blancs vers des écoles à majorité noire et vice versa. Ce sont les quartiers pauvres de South Boston et Roxbury qui sont choisis les premiers, déclenchant la fureur des Américano-irlandais de Southie. le contexte historique est bouillonnant et donne immédiatement un surcroit d'intensité et d'épaisseur au drame vécue par Mary-Pat dans cette poudrière attisée par les tensions raciales.

« Bobby est frappé de constater que quelque chose d'irrémédiablement détruit et de totalement indestructible à la fois vit au plus profond de cette femme. Et ces deux caractéristiques ne peuvent pas coexister. Une personne détruite ne peut pas être indestructible. Et pourtant, Mary Pat Fennessy est assise là devant lui, détruite mais indestructible. »

La disparition de sa fille remet tout en question chez la mère, et notamment le mantra selon lequel les Irlandais de South Boston peuvent compter les uns sur les autres, formant un vrai «  peuple ». Une révolution s'opère en elle lorsqu'elle se heurte au silence, l'omerta même, imposé par le parrain local. Par désespoir, elle est prête à tout faire péter. Animée par une colère et une haine telluriques, elle part en guerre pour retrouver sa fille, avec la détermination d'une héroïne de tragédie grecque.

Aux cotés de Mary-Pat la guerrière obstinée, le lecteur se retrouve pris dans une intrigue remarquablement menée, emplie d'un puissant souffle romanesque et d'une urgence renversante. Entre scènes d'action saisissantes, denses moments intimistes et dialogues comme pris sur le vif, sa quête est bouleversante.

Et c'est d'autant plus fort que Mary-Pat n'est pas une héroïne « sympathique »
au départ. Elle est archi violente, toujours prête à dégainer ses poings ou son couteau pour se lancer dans la baston. Surtout, elle est imprégnée des préjugés racistes de son époque et de son quartier. Même si elle commence à déconstruire tout ce qu'elle pensait a priori, on sent bien qu'il n'y a pas de rédemption possible pour elle, juste une vengeance à accomplir , celle de ceux qui ont tout perdu et qui pleurent sous le poids inéluctable de la violence transmise par des préjugés mortifères.

Un grand Lehane, ( quasi ) dans la lignée de Mystic River et Un Pays à l'Aube, porté par une charismatique héroïne à laquelle l'auteur offre une déchirante élégie furiosa conclue en un final ébouriffant.
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