'Ils', ce sont aussi les frères, les cousins, les oncles, les tantes, les belles-mères... Ils ne nous traitent même pas comme des 'objets'. On respecte un objet, pas une femme.
Il me semblait normal, évident, que mes frères étaient tout aussi capables que moi de mettre la table et de ranger leurs affaires.
La conseillère d'éducation m'avait emmenée dans son bureau pour m'y coller huit gifles en rafale. Forte tête, mais en sang, j'avais protesté : vous n'avez pas le droit de me taper, je vais en parler à mon père. - Je te préviens d'avance, c'est un échantillon, attends-toi à pire chez toi. Ton père m'a personnellement autorisée à te corriger, figure-toi.
Les autres filles maghrébines étaient comme moi, elles apprenaient à ruser, à mentir et à se taire. Ruser pour se retrouver entre nous hors du collège, mentir sur les heures de cours, repérer le frère qui servait d''oeil de Moscou', de 'caméra', ravi de dénoncer les frasques minuscules de la grande soeur.
Le matin, je devais faire le petit déjeuner dans autres avant même de prendre le mien. Alors je me levais à la dernière minute, juste le temps de me laver, de m'habiller et de filer au collège en hurlant triomphalement : 'j'ai pas le temps de déjeuner !'
Des assistés dont j'étais a priori l'esclave.Si je les envoyais promener, je prenais une claque de n'importe lequel d'entre eux.
Genre : née en France, de nationalité française, de culture française à l'école, maghrébine à la maison, donc sans liberté, sans personnalité propre et au service de la famille.
Ordres et interdictions se plantaient dans ma cervelle comme des épingles. Je ne m'appartenais pas, j'étais l'objet, l'instrument de la famille, elle me téléguidait.
L'intégration passe par la liberté de dire non. La tradition, c'est l'impossibilté de dire non.
Je m'appelle Leila, 21 ans, née en France et marocaine de tradition. Cette tradition est aujourd'hui encore toute-puissante à mes côtés : mon père.