Mais l'amitié de prison est à la fois plus profonde que celle éprouvée en liberté, et plus éphémère, plus oublieuse, plus mystérieuse. Peut-être parce que c'est une amitié, une camaraderie forcée par l'existence commune obligatoire. Peut-être parce qu'elle est en quelque sorte impersonnelle, le résultat d'une politique révolutionnaire, et non pas d'un choix intime et naturel.
Le pouvoir soviétique a repris le même régime carcéral, et l’a rendu encore plus terrible. (page 100)
Les yeux de Roudin s’illuminent à chaque fois qu’il prononce le nom de Tolstoï. Mais moi, je dois l’avouer, à chaque fois qu’il mentionne le nom de l’écrivain, j’éprouve un sentiment de malaise. Pas au sujet du condamné, cet homme intègre et pur, mais au sujet de Tolstoï, le comte, malgré ses errances et ses recherches tragiques, il vit dans sa propriété de Iasnaïa Poliana et ici, son merveilleux disciple traîne au bagne. Je ne l’ai pas dit évidemment à mon voisin. Cela aurait manqué de tact.
Est-ce qu'un individu a le droit moral de mettre en péril la vie d'autrui, même s'il s'agit de sauver le monde ?
Si c'est comme ça, il faut condamner toute révolution, même la plus juste, parce qu'elle ne peut que s'opposer à la majorité. La révolution est un acte d'impatience. Je pense à ça très souvent en ce moment.
L'humain en l'homme, le bien comme le mal, dans cette promiscuité abominable disparut, révélant sa brutale nudité qui tantôt t'aveugle, tantôt te rend clairvoyant. Tu plonges le regard en l'homme comme en un gouffre profond ou parfois en un miroir poli. Dans les deux cas, tu te vois toi-même. Tu te lamentes sur ce que tu es devenu ou tu te sens pousser des ailes.
C'est donc cela le cachot, une casemate de pierre. Ni jour, ni nuit, ni temps, ni son.