Boxeur, acteur et prophète, Ali, lui, cumule les rôles. Et ce n’est pas toujours facile. Il était Black Muslim ; aujourd’hui il se sent, avant tout, noir et musulman, mais il ne peut pas le dire.
Aiguillonné par Dundee et Bundini, Ali colorie la neuvième reprise en se muant une nouvelle fois en papillon, puis en abeille. Saoulé de coups, Joe Frazier n’avance plus. Epaules en mouvement, mâchoire ruminante, gants frottants l’un contre l’autre, il évoque un gros bourdon qui sentirait venir la fin de l’été. Où puise-t-il l’énergie pour acculer Ali dans les cordes ?… Inlassablement, le tronc de Joe décrit des huit. Une droite d’Ali lui rafraîchit la nuque. Joe se ramasse, et se défend.
Un homme peut-il identifier le sommet de sa courbe ? Non. Pourtant Muhammad Ali, au fur et à mesure qu’il se trouve et s’élève, réalise que sa trajectoire passe par son sacrifice. La série de combats qu’il livre avant sa radiation est tout électrisée de cette urgence. Huit matchs limpides où le geste rejoint le verbe. Seize mois très pleins (trente-six mois et dix matchs si n incluse les deux Liston), où le champion plane sur la boxe mondiale, qui susciteront une nostalgie que douze ans de règne de Joe Louis n’ont su éveiller. Elle est là, la magie d’Ali.