AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Darkcook


Et me voici de retour sur le site après deux mois de folie en collège, à chroniquer un monument de la science-fiction! En dehors des oeuvres hybrides de Jose Carlos Somoza, cela faisait quand même trèèèès longtemps que je n'avais pas ouvert un roman de science-fiction, et que ma connaissance littéraire du genre était loin d'égaler ma curiosité... À force d'entendre parler de Stanislas Lem et de Solaris dans les colloques universitaires, il fallait bien que je le dévore un jour...

Solaris est une planète avec un océan pensant, semblerait-il, et l'objet de fascination la plus absolue pour les humains dans un futur indéterminé. Ils veulent à tout prix entrer en contact avec cette forme de vie autre, la comprendre, l'expliquer, mais ils se heurtent à un mur absolu. Tout le principe et le discours de l'oeuvre sont là, moult fois énoncés : L'incommunicabilité entre l'humain et ce qui lui est étranger. Ainsi, nous suivons la narration de plus en plus tourmentée du Dr Kelvin, scientifique sur place avec d'autres chercheurs, en proie à l'incompréhension face à ce défi scientifique, cette énigme qui a rendu les humains aussi prolixes qu'impuissants. Kelvin et ses collègues se retrouvent par ailleurs victimes de ce qui s'apparenterait à des hallucinations (mais ce n'est pas tout à fait ça...) visiblement engendrées par la planète... Pour à son tour tenter de communiquer, leur nuire, répondre à leurs explorations trop agressives...? Solaris n'est pas n'importe quel roman de science-fiction : Il est écrit dans un vocabulaire scientifique très précis et poussé, ce qui rend sa lecture exigeante, peut dérouter, et qui rend béat d'admiration pour le traducteur Jean-Michel Jasienko. Il y a des passages qui relèvent véritablement de l'horreur avec les apparitions, d'autres où l'énigme sur la nature de la planète et de l'océan peut faire penser à une investigation policière. Les descriptions des couchers de soleils (au pluriel, Solaris tourne autour d'un soleil rouge et d'un soleil bleu) sont sensationnelles et tendent vers le romantisme. Mais surtout, on alterne entre les péripéties de Kelvin et ses questionnements métaphysiques au sein de la bibliothèque de la station. Et c'est là que c'est génial : le roman devient presqu'un essai métaphysique sur l'espèce humaine, sa recherche obsessionnelle d'autres civilisations, mais pas vraiment, puisqu'elle veut toujours dominer ou être dominée, et que face à Solaris, face à un véritable point d'interrogation, une vraie différence, qu'elle ne parvient ni à appréhender ni à maîtriser, elle se retrouve à bégayer des théories sans fin jusqu'à la folie... J'ai bien ri lorsqu'il est même fait mention d'une attaque militaire, tellement typique de l'homo sapiens... Ces passages réflexifs sont tout le sel et le coeur de l'oeuvre, et, même si j'ai peu lu de SF, il me semble rare de voir un auteur s'adonner à un travail aussi profond. Ces moments m'ont même fait penser à du Mémoires d'Hadrien sauce SF!

L'humain conquérant et victime de son hybris, dans un ridicule absolu, est donc croqué avec une grande acuité par Lem via la voix de Kelvin, et il y a évidemment aussi une critique du savoir scientifique et universitaire : S'entassent toujours plus les écrits d'autorité et grandes hypothèses sur Solaris, finalement démontés avec le temps, et la bibliothèque du roman devient vers la fin une véritable Bibliothèque de Babel Borgésienne... Kelvin énonce vers le début du roman "Ignoramus et Ignorabimus" ("nous ignorons et nous ignorerons"), ce qui est le credo du roman, et une devise qui était déjà la mienne avant de la lire... Marrant qu'en tant qu'universitaire, j'apprécie les oeuvres qui pointent du doigt la vacuité de la recherche, mais il faut savoir reconnaître les fourmis balbutiantes que nous sommes et l'accepter!

La fin dérive vers le sujet de la foi, et je ne m'y attendais pas du tout : Solaris mettant les humains véritablement à genoux en quête désespérée de réponses, les obsédant totalement, et accouchant de créations, elle peut être considérée comme un Dieu, et la Solaristique comme une religion... Rares sont les romans de genre qui m'auront fait penser, tour à tour, à du Dostoïevski, du Maupassant, du Borgès, voire à du Beckett, avec une plume rare... À lire! J'ai évidemment également apprécié l'imagination de Lem avec les créations de Solaris, et l'histoire d'amour avec Harey... Quand on sait que Lem détestait tous les auteurs de science-fiction de son temps en dehors de Dick, on comprend qu'il n'ait pu pondre rien de moins qu'un roman aussi riche...
Commenter  J’apprécie          164



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}