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Jean-Michel Jasienko (Traducteur)
EAN : 9782070422395
319 pages
Gallimard (31/03/2002)
3.86/5   550 notes
Résumé :
Solaris, planète longtemps oubliée par les explorations humaines, tourne autour de deux soleils, et ne semble pas abriter de vie. Un jour pourtant, un groupe de scientifiques y découvre une étonnante entité sous la forme d'un vaste océan protoplasmique. Mais après de nombreuses études, elle est déclarée non pensante et sans intérêt, l'ensemble des stimuli humains n'ayant jamais engendré de réponse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (74) Voir plus Ajouter une critique
3,86

sur 550 notes
Une œuvre très particulière, qui est entrée dans les classiques de la sf avec en plus deux adaptations cinématographiques en 1972 et 2002.


Le docteur (psychiatre) Kelvin débarque sur la station atmosphérique Solaris sur la planète du même nom. Il y est accueilli par Snaut et Sartorius, qui se cachent et visiblement, ils sont perturbés. Gibarian qu'il devait rejoindre s'est suicidé. Quand Kelvin rencontre en « chair et en os » sa femme qui s'est suicidée il y a dix ans, il s'interroge, au bord du gouffre. Est-il devenu fou ? Ou l'océan vivant de cette planète, objet de près de 78 ans d'études contradictoires, au point d'en faire une science à part : la solaristique est à l'origine de ses visions matérialisées ?


Une œuvre courte (320 pages) et dense. Une écriture poétique et hypnotique. Ce n'est pas de la sf conventionnelle, mais presque un essai philosophique, métaphysique sur l'inconnu, les possibilités de communication inter-espèces. Quelque chose de plus grand que nous, qui visiblement nous dépasse. Que faire face à l'inconnu ?
Vous cherchez des réponses ? Passez-votre chemin, je n'en ai pas trouvé. Je le savais en début de lecture. L’œuvre est suffisamment connue (encore que je croyais que Solaris était une étoile) pour savoir dans quoi on s'embarque, mais je me suis retrouvé happé par le texte. le background est vieillot mais on le laisse rapidement de côté. L'écriture est solide, beaucoup d'incursions dans le scientifique tant réel qu'imaginaire (et je suis bien en peine de faire le tri entre le vrai et l'inventé) et les descriptions imagées sont intéressantes à lire.
J'ai lu le livre en une journée et n'ai pas voulu le lâcher avant la fin. Pour un résultat nul, mais je le savais par avance. Allez comprendre pourquoi j'ai bien aimé...


Une atmosphère particulière, qui se rapproche pour l'ambiance de 2001 : L'Odyssée de l'espace, plus que de Rendez-vous avec Rama du même auteur (comme l'indique le quatrième de couverture).
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J'ai trouvé mon Graal littéraire de la science-fiction !
C'est un livre lent, peu d'action, peu de mouvement, un huis-clos étouffant et éblouissant à la fois, à la fin de chaque chapitre, j'avais besoin de m'arrêter pour en savourer plus longtemps toute son étendue.
Kelvin arrive en mission sur Solaris. Solaris est une planète entièrement recouverte d'un océan sans vie, enfin, pas tout à fait, cet océan est susceptible d'être une entité pensante ou du moins vivante. Autre surprise qui attend Kelvin sur la station d'observation, des êtres semblent se matérialiser dans leur entourage, des êtres surgit de leur passé ou de leurs fantasmes... fantômes, visiteurs ? Les trois hommes de la stations vivent accompagnée d'une présence physique, un être sorti de leur passé, comme une pénitence, une expiation ou alors un cadeau. Pour Kelvin, c'est Harey, une femme qu'il a autrefois aimée et qui s'est suicidée plusieurs années auparavant.
Le thème du roman, c'est bien sur le contact avec l'extraterrestre, mais c'est aussi la conscience, la perception, humaine et non humaine. Dans la démonstration de Stanislas Lem, j'y ai trouvé des analogies avec les mythes de Lazare, Frankenstein, Sisyphe, les problématiques sont variées, étendues et subtilement explorées...
J'ai aimé les passages scientifiques, et parfois épistémologiques, retraçant les interprétations de la compréhension de cette planète. Il crée une science, qu'il appelle la “Solaristique”, une science qui a une histoire, déjà plusieurs générations de savants se sont succédés sur Solaris. C'est l'étrange océan qui semble stabiliser cette planète sur une orbite stable entre deux soleil, dans une situation a priori impossible. Cet océan est un mystère pour la compréhension humaine, un mystère que Stasnislas Lem va s'efforcer d'imaginer et de comprendre de nous faire comprendre. C'est tout une démarche philosophique qu'il explore avec cet argument.
L'aspect scientifique est pointu, subtil et rigoureux, il est question aussi bien de physique astronomique, des particules que de psychologie, l'auteur confronte ses personnages, mais aussi le lecteur, à la vision erronée d'une interprétation anthropocentriste, anthropomorphique, il va même parvenir à se libérer de ces carcans, à imaginer une pensée, une perception, une conscience qui n'est pas humaine.
Cet aspect touffu et introspectif, est servi par une plume belle, élégante et une imagination luxuriante. La description de cet océan est aussi bien chirurgicale, scientifique et visuelle que poétique et lyrique. Il crée tout une panoplie de phénomènes, “Longus”, “Mimoïdes”, “Agilus”, “Vertébridés”, “Symétriades”, “Asymétriades” expliqués avec précision et élégance. Sanislas Lem jongle avec les mots, ce sont de véritables bijoux d'écriture.
Et pour une fois, un auteur de science fiction ne tombe pas dans les écueils du panthéisme mystique en voulant donner une intelligence ou une conscience à une entité astrale, alors que c'est le sujet même du livre. Ce livre est intelligent, et c'est une véritable prouesse littéraire. Tant d'auteurs de science fiction ont essayé de se lancer dans cette voie pour une conclusion mystico-religieuse qui tombe dans le puéril ou le ridicule, voire pire, dans l'illumination religieuse, même parmi les plus grands noms. Ici, tout tient parfaitement en équilibre, sur le fil du rasoir. La fin laisse volontairement quelques points en suspens, mais quelle fin digne et belle.
J'ai vu et adoré l'adaptation d'Andreï Tarkovski à la fin des années 80, sans savoir que c'était adapté d'un roman, ce n'est que récemment que je l'ai découvert, après avoir lu l'étonnant “Cybériade”. Cela faisait un moment qu'il était dans ma pile de livres à lire, et cette lecture me donne envie de lire l'autre roman de SF adapté par ce cinéaste, Stalker de Boris et Arcadi Strougatski.
Bref, cette lecture m'a totalement subjugué, je crois que j'ai trouvé le roman de science-fiction que je rêvais de lire un jour.
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Il y a vraiment des époques qui vous persécutent. L'auteur a connu une sauvage guerre mondiale et l'assaut du fascisme le plus hideux qui soit. Il a aussi composé avec l'instauration d'une dictature collectiviste dans son pays et dans les pays voisins.
Pour rester libre de ses choix de vie, il n'a pas terminé ses études de médecine . Il les a reprises des années plus tard. Dans son étroit espace de liberté, il a trouvé le moyen d'écrire un nombre important de roman de SF traduits de l'autre côté du rideau de fer et en russe aussi.
Il a résisté et il a trompé son monde avec un langage qui lui est propre et dont l'ambigüité se dévoile ou se dérobe en fonction de l'approche du lecteur.
Solaris est un monde dont l'océan est vivant et global. Il est tout et il est bien plus que la somme de ses parties.
L'équipe qui étudie ce monde , le fait au prix d'une folie se traduisant par des hallucinations troublantes et réalistes qui s'invitent dans la réalité. Elles créent des mondes issus des souvenirs des victimes effrayées souvent .
L'aspect science-fiction est bien présent dans cette oeuvre . L'océan global est tangible et la station spatiale aussi.
Ce roman a généré deux films, un pour chaque côté du rideau de fer.
Deux sujets parallèles et imbriqués s'offrent au lecteur à mon humble avis misérable :
1- Comment peut-on communiquer sur un mode individuel avec un être totalisant , qui est tout et qui contient tout, qui est la totalité d'un environnement et qui est aussi ,l'environnement en soi et un sommet de l'étrangeté. Un être indéfinissable , car il est au-delà de la compréhension et des méthodologies qui essayent de le définir et de le comprendre. Les chercheurs essayent de l'étudier. Ils l'étudient en vain alors donc ,il reste une question absolue.
2- Par ailleurs les hallucinations et la folie que cet être génère chez ceux qui sont physiquement proche de lui vient avant tout du psychisme et de l'univers individuel des personnages qui le côtoient.
Cette folie oblige les personnages et le lecteur , à réfléchir à comment composer avec les démons personnels , avec le passé en général et avec des êtres issus des souvenirs, qui deviennent réellement présent dans une palpable réalité ? En n'étant pourtant que des habitants de la mémoire ,et le reflet de souvenirs plus ou moins construits.

Je suis longtemps passé à côté de Solaris car je suis assez rétifs aux organismes qui sont construit à l'échelle d'un monde.
Solaris plus que jamais montre que les univers de SF sont souvent des métaphores, malgré leur fonctionnalités romanesques et leur réalisme accomplis dans certains cas.
Comment communiquer avec le totalitarisme. A quoi mène une tentative définir le totalitarisme par ses effets ,quand on le vit concrètement et que l'on s'y confronte?
Toute cette folie conduit à être attentif à ce qu'il génère à l'intérieur du cerveau de celui qui y est confronté et à où se blottit l'étincelle de libre arbitre qui sauve l'avenir à default de sauver le présent.
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Un des romans les plus marquants qu'il m'ait été donné de lire, et qui demande sans doute à être lu et relu pour en saisir toute la portée.

L'histoire de Kelvin, rejoignant trois collègues sur la planète Solaris pour y mener des études scientifiques, se scinde volontairement en deux narrations parallèles, ce qui peut déstabiliser le lecteur, les passages de l'une à l'autre se révélant parfois un peu abrupts. Deux narrations, donc. L'une se consacre à l'installation de Kelvin sur la base et à ses découvertes : l'un de ses collègues est mort, les deux autres, épuisés, reçoivent la visite régulière de créatures par lesquelles ils se sentent harcelés. Kelvin lui-même va rencontrer un de ces êtres, sous la forme d'une femme qu'il a autrefois aimée et quittée, et qui s'est suicidée. de cette relation, qu'il va rejeter d'abord de toutes ses forces, va naître un sentiment profond de Kelvin pour cette femme dont il ne sait pas qui elle est, ni même ce qu'elle est.

La seconde piste narrative s'attache elle à l'histoire millénaire de la solaristique, à savoir l'étude de la planète Solaris et, plus spécifiquement, de son océan. On y apprend comment, notamment, les hommes ont tenté de comprendre cet océan et de communiquer avec lui, le considérant soit comme une entité qui aurait atteint à une sérénité "à la yogi", soit comme une créature vivante mais stupide - des approches multiples s'insérant entre ces deux théories. En apparence, et tel que je l'ai résumé ici, l'histoire de la solaristique paraît moins attractive, moins chatoyante, moins propre à la réflexion et à l'émotion. Ne vous fiez pas aux apparences : c'est notamment dans les descriptions de l'océan que vous trouverez les passages les plus poétiques, et sans doute davantage matière à faire disjoncter vos neurones. Car cet océan-là invente les créations physiques les plus étranges, les plus terribles et les plus belles. Je ne puis rendre ici l'effet qu'ont produit sur moi les ballets des symétriades et des mimoïdes... Je ne m'attendais d'ailleurs pas à les visualiser aussi bien, moi qui ai toujours du mal à reconstituer dans ma tête le moindre paysage décrit sur papier. Sans doute la lecture de la série BD Aldébaran m'a-telle servi, puisque la Mantrisse est une créature qui n'est pas, et c'est voulu, sans rapport avec l'océan solarien.

Deux pistes narratives, donc. Mais un seul sujet. Celui de l'homme en tant qu'individu, confronté à son destin solitaire, à la fois tributaire et victime des ses sentiments ; celui de l'homme en tant qu'espèce, enfermé dans sa vision étriquée de la conquête spatiale, incapable d'imaginer un être éminemment différent de lui, et, a fortiori de communiquer avec lui et de le comprendre. Un roman, donc, dont la mélancolie le dispute à la beauté, et dont la beauté le dispute à la portée philosophique et métaphysique.

Fans de 2001 : L'odyssée de l'espace (dont je fais partie) , ce roman est fait pour vous ; et je gage que l'apparition du bébé géant sur Solaris n'a pas été pour rien dans le final sublime du film de Kubrick. Ceux qui détestent 2001 vont détester Solaris, je le crains. À moins que...
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Planète océanique scrutée depuis 100 ans par les hommes, Solaris est l'objet de toutes les hypothèses. Face à ses manifestations multiples et complexes, sous forme par exemple d'extraordinaires symétries éphémères, les suppositions ont fonctionné à plein régime : l'océan est-il un méga-cerveau ultra-évolué ? n'est-il au contraire qu'une forme de conscience balbutiante ? ou alors régressive ?

Si la planète focalise autant l'attention, c'est probablement parce que bouillonne en souterrain la question mystique ultime qui taraude l'être humain : le fantasme du Grand Contact, celui que l'homme aurait enfin avec l'Autre, absolu, extérieur, un esprit supérieur qui serait à la fois explication ultime et onguent rafraîchissant sur nos affres existentielles.

Kelvin qui a consacré sa thèse à cette planète, débarque enfin, plein d'allant, dans la petite station d'étude où ne subsistent plus que deux scientifiques. Première douche froide : s'ils n'ont pas encore totalement perdu les pédales, ceux-ci en sont à 2 doigts ; on dira pudiquement qu'ils ne brillent ni par leur entrain ni par leur jovialité ; un stage intensif de décompression avec Christophe André serait à prévoir dans les meilleurs délais ; haute-tension palpable, atmosphère électrique, le burn-out n'est pas loin.

Kelvin va-t-il lui aussi perdre la boule sur la planète aux deux soleils ? on l'excuserait : dès son premier réveil, il découvre Harey à ses côtés, sa petite amie qui s'est suicidée 10 ans plus tôt, et qui plus est, bien décidée à ne pas le lâcher d'une Moonboots.

Il se rend compte rapidement que ses 2 autres collègues sont eux aussi accompagnés d'avatars venus de leur lointain passé. Serait-il possible que le méga-cerveau-océanique vienne fouiller dans les cerveaux humains et se serve de leurs anciennes empreintes pour créer des clones 3D ? Ses intentions sont-elles malveillantes ou bienveillantes ? Cherche-t-il à les étudier ou leur faire un cadeau ?

C'est passionnant de voir évoluer les réactions de Kelvin vis-à-vis de cet avatar de la femme qu'il a aimée. La rejetant tout d'abord, presque horrifié, il finit, par un processus finement décrit, par s'attacher à elle plus qu'à son projet scientifique. Traqué par la claustrophobie et le contact autistique avec ses collègues, il se raccroche avec une avidité enfantine à cette seule source d'affection.

Le rapport veille/rêve est également habilement exploré : les rêves de Kelvin ont parfois une acuité qui dépasse largement ses états d'éveil, ce qui est extrêmement perturbant, ça va de soi. Qui n'a jamais eu ce genre de doutes terribles sur l'ambiguïté de ses états de conscience ? D'où découle la question suivante : comment l'homme peut-il prétendre à la compréhension de l'univers s'il ignore tout de son propre inconscient, planète elle-même inaccessible ?

Un doctorat en physique atomique sera un petit plus appréciable pour comprendre certains passages, mais pas d'inquiétude, on s'y retrouve toujours en remplissant les trous par l'imagination.
L'imagination de l'auteur, elle, est totalement débridée, il a craqué les coutures et se donne à fond, hypothèses farfelues, images inédites, hypothèses théologiques galopantes, un bon creusage de tronche qui va faire passer à votre cerveau un sacré quart d'heure, mais qui vaut le voyage.

L'auteur a la finesse de ne rien trancher, rien fermer, il ne nous assène rien sur le coin du museau comme grand final, mais nous laisse avec toutes nos questions existentielles + les siennes, bon ben merci quand même.

Ce livre de 1961 et son hypothèse bottante de cerveau-océan reste en tête fort longtemps après la dernière page.



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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Les « arbres-montagnes », les « longus », les « fongosités », les « mimoïdes », « symétriades », et « asymétriades », les « vertébridés » et les « agilus » ont une physionomie linguistique terriblement artificielle ; ces termes bâtards donnent cependant une idée de Solaris à quiconque n’aurait jamais vu de la planète que des photographies floues et des films très imparfaits.
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Pendant un certain temps, l’opinion prévalut (répandue avec zèle par la presse quotidienne), que « l’océan pensant » de Solaris était un cerveau gigantesque, prodigieusement développé, et en avance de plusieurs millions d’années sur notre propre civilisation, une sorte de « yogi cosmique », un sage, une figuration de l’omniscience, qui depuis longtemps avait compris la vanité de toute activité et qui, pour cette raison, se retranchait désormais dans un silence inébranlable.
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Nous nous envolons dans le cosmos, préparés à tout, c’est-à-dire à la solitude, à la lutte, à la fatigue et à la mort. La pudeur nous retient de le proclamer, mais par moments nous nous jugeons admirables. Cependant, tout bien considéré, notre empressement se révèle être du chiqué. Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la Terre jusqu’aux frontières du cosmos.
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Ainsi donc commence le rêve. Autour de moi, quelque chose attend mon consentement, mon accord, un acquiescement intérieur, et je sais, ou plutôt quelque chose en moi sait que je ne devrais pas céder à une tentation inconnue, car plus le silence semble prometteur, plus terrible sera la fin. Ou, plus exactement, je ne sais rien de tel, car si je le savais, j'aurai peur, et jamais je n'ai ressenti aucune peur. J'attends. De la brume rose qui m'enveloppe, un objet invisible émerge et me touche. Inerte, emprisonné dans cette matière étrangère qui m'enserre je ne peux ni reculer, ni me retourner, et cet objet invisible émerge et me touche. Inerte, emprisonné dans cette matière étrange qui m'enserre, je ne peux ni reculer ni me retourner, et cet objet invisible continue à me toucher, à ausculter ma prison, et je ressens ce contact comme celui d'une main, et cette main me recrée. Jusqu'à présent, je croyais voir, mais je n'avais pas d'yeux, et voici que j'ai des yeux ! Sous les doigts qui me caressent d'un mouvement hésitant, mes lèvres, mes joues sortent du néant, et la caresse s'étendant, j'ai un visage, le souffle gonfle ma poitrine, j'existe. Et recrée, je crée à mon tour, et devant moi apparaît un visage que je n'ai encore jamais vu, à la fois inconnu et connu. Je m'efforce de rencontrer les yeux en face de moi, mais cela m'est impossible, car je ne peux imposer aucune direction à mon regard, et nous nous découvrons mutuellement, par-delà toute volonté, dans un silence recueilli. Je suis redevenu vivant, je me sens une force illimitée et cette créature - une femme ? - demeure auprès de moi et nous restons immobiles. Nos cœurs battent, confondus, et soudain du vide qui nous entoure, où rien n'existe et ne peut exister, s'insinue une «influence» d'une cruauté indéfinissable, inconcevable. La caresse qui nous a créés, qui nous a enveloppé d'un manteau d'or, devient le fourmillement d'une infinité de doigts. Nos corps, blancs et nus, se dissolvent, se transforment en un grouillement de vermine noire, et je suis - nous sommes - une masse de vers gluants, entremêlés, une masse sans fin, infinie, et dans cet infini, non ! je suis l'infini, et je hurle silencieusement, j'implore la mort, j'implore une fin. Mais, simultanément, je m'éparpille dans toutes les directions, et la douleur s'enfle en moi, une souffrance plus vive qu'aucune souffrance éprouvée à l'état de veille, une souffrance démultipliée, une épée fouillant les lointains noirs et rouges, une souffrance dure comme le roc et qui s'accroît, montagne de douleur visible à la lumière éclatante d'un autre monde.
C'est là un rêve parmi les plus simples ; je ne peux raconter les autres, fautes de termes pour en exprimer l'épouvante.
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Nous nous envolons dans le cosmos, préparés à tout, c'est-à-dire à la solitude, à la lutte, à la fatigue et à la mort. La pudeur nous retient de le proclamer, mais par moments nous nous jugeons admirables. Cependant, tout bien considéré, notre empressement se révèle être du chiqué. Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la Terre jusqu'aux frontières du cosmos. Telle planète sera aride comme le Sahara, telle autre glaciale comme nos régions polaires, telle autre luxuriante comme l'Amazonie. Nous sommes humanitaires et chevaleresques, nous ne voulons pas asservir d'autres races, nous voulons seulement leur transmettre nos valeurs et en échange nous emparer de leur patrimoine. Nous nous considérons comme les chevaliers du Saint-Contact. C'est un second mensonge. Nous ne recherchons que l'homme. Nous n'avons pas besoin d'autres mondes. Nous avons besoin de miroirs. Nous ne savons que faire d'autres mondes. Un seul monde, notre monde, nous suffit, mais nous ne l'encaissons pas tel qu'il est. Nous recherchons une image idéale de notre propre monde ; nous partons en quête d'une planète, d'une civilisation supérieure à la nôtre, mais développée sur la base du prototype de notre passé primitif. D'autre part, il existe en nous quelque chose que nous refusons, dont nous nous défendons, et qui pourtant demeure, car nous ne quittons pas la Terre à l'état d'essence de toutes les vertus, ce n'est pas uniquement une statue de l'Homme-Héros qui s'envole! Nous nous posons ici tels que nous sommes en réalité, et quand la page se retourne et nous révèle cette réalité - cette partie de notre réalité que nous préférons passer sous silence - nous ne sommes plus d'accord!
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