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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2019/2020, écrits par Jeff Lemire, dessinés par Phil Hester, encrés par Eric Gapstur, et mis en couleurs par Ryan Cody, avec un lettrage réalisé par Steve Wands.

En y repensant, Loretta Hayes se dit qu'il est facile de dater quand la fin du monde a commencé : le 14 mars 1997. Sur le moment, elle est en train de travailler comme caissière dans le supermarché de la petite ville de Lowell. Carl, un retraité, se présente à la caisse et demande à Loretta de faire attention à la manière dont elle met les barquettes de fraises dans les sacs, de sorte qu'elles ne soient pas écrasées, pas comme la dernière fois. Loretta répond que bien sûr elle va faire attention, mais sur un ton sarcastique qui n'échappe pas au client. Une fois qu'il est parti, elle repère un autre client dans une allée et lui demande s'il a besoin d'aide. Il laisse tomber son panier par terre et part en courant. Elle ne se pose pas trop de question, ferme momentanément sa caisse, et va s'en griller une dehors. La gérante vient la chercher parce qu'elle a dépassé sa pause de 3 minutes, mais surtout parce qu'il y a un coup de fil qui l'attend dans le bureau, de la part du proviseur du lycée, au sujet de son fils. Avec le recul, elle se rend compte que c'était le dernier jour qu'elle passait à Lowell, sa ville natale, et que rien ne l'incite à y retourner. Elle commence par passer prendre sa fille Meg (diminutif de Megan) à l'école, avant d'aller au lycée. Installée à l'arrière Meg a deviné que c'est encore Joshua, son grand frère, qui s'est fait remarquer. Elle se plaint aussi d'une démangeaison à l'avant-bras gauche. Sa mère regarde : la peau semble un peu irritée. Elle trouvera bien de la crème adoucissante à la maison, et elle demande à sa fille de ne pas se gratter pour ne pas aggraver l'éruption cutanée.

Loretta laisse sa fille attendre dans le couloir, et entre seule dans le bureau de proviseur, où Joshua est en train d'attendre en silence sur une chaise, pendant que le proviseur travaille sur des dossiers. Une fois Loretta Hayes assise, il explique qu'il a trouvé de l'herbe dans les affaires de Joshua, en montrant le contenu d'un sac de congélation. Dans le couloir, un vieil homme aborde Meg et lui remet un sac en papier contenant quelque chose, en lui demandant de le donner à sa mère. Puis il s'en va. Dans le bureau, Loretta ne se laisse pas impressionner par le discours du proviseur, et décide d'en sortir avec son fils. Elle n'oublie pas de récupérer le sachet et son contenu, car il s'agit de sa propre réserve que son fils lui a piquée. le soir, les trois sont à table : Meg continue de se gratter. Elle montre son bras à sa mère : il y a comme des racines qui sortent de son avant-bras. Puis Meg parle du vieil homme qui lui a laissé un paquet. Enfin elle lui montre son dos, et il y a une banche avec une feuille à l'extrémité qui part depuis son postérieur. Elle décide d'emmener sa fille à l'hôpital, avec son fils. Ils montent en voiture et elle commence à conduire. Sur la route, ils sont percutés par un petit van. Alors qu'ils commencent à s'extirper du véhicule accidenté, le monsieur bizarre du supermarché s'avance vers eux avec une hache à la main.

Jeff Lemire est un auteur prolifique qui semble capable de lancer deux nouvelles séries chaque année, avec des collaborateurs différents, généralement de très bonne qualité. le lecteur est donc tout disposé à se lancer dans la découverte de celle-ci, d'autant que Phil Hester est un artiste chevronné ayant travaillé aussi bien avec Mark Millar sur Swamp Thing, Robert Kirkman sur Ant-Man, Kevin Smith sur Green Arrow qu'avec Warren Ellis sur Shipwreck. le lecteur se rend compte que ce premier tome est essentiellement introductif : les auteurs ont fait le choix de publier les 4 premiers épisodes en recueil rapidement pour attirer l'attention sur la série. du coup, l'intrigue est assez ramassée : une cellule familiale restreinte (une mère et ses deux enfants) est attaquée par un groupuscule mystérieux, alors que la fille manifeste des symptômes laissant penser qu'elle se transforme en arbre. Ils doivent leur salut à un homme âgé avec qui ils ont un lien parental et ils doivent fuir, se défendre contre une autre attaque de ce groupuscule se faisant appeler les Arboristes. le scénariste pose les bases de la dynamique du récit, sur une structure de course-poursuite avec des affrontements et un rythme rapide. C'est un peu court pour un chapitre de comics, mais ça fonctionne bien que chapitre introductif.

Comme à chaque fois, le scénariste a choisi de travailler avec un artiste à la forte personnalité graphique. Les dessins s'inscrivent dans un registre réaliste, avec une petite simplification des formes, et un travail un peu particulier sur les contours. Hester aime bien les zones de noir, avec des formes irrégulières, un peu pointues, aux contours non lissés. Cela apporte une sensation de rugosité à ce qu'il représente, comme si chaque élément est encore à l'état brut, ou alors que le quotidien et l'action du temps les a usés, et pour le grand-père ou les arbres plutôt une forme mal dégrossie, plus naturelle, sans le poli de la civilisation. le réel est âpre et il ne va pas s'adapter, il ne va pas s'adoucir par égard à Loretta ou aux enfants. Cela va être à eux de s'adapter à ce réel peu accueillant, et vraisemblablement pas bienveillant, indifférent au mieux. En fait, l'apparence de l'Arboriste à la hache prouve plutôt qu'il s'agit d'une réalité recelant des dangers, des individus aux motivations incompréhensibles se montrant agressifs. Les traits de contours d'Hester n'ont pas été polis non plus, et présentent, des angles, des variations d'épaisseur de trait, des lignes qui semblent presque griffées, mais toujours jointives. C'est flagrant pour les arboristes, avec leur tenue lâche et informe, leurs crânes rasés et leurs attaques agressives. le lecteur se rend compte que cette apparence brute et rêche s'applique aussi aux autres personnages. Seul le visage de Meg, encore une enfant, est plus doux. Sinon, le grand-père, Loretta, Joshua, la docteure présentent eux aussi une apparence burinée, presque sculptée par le dessinateur. Les protagonistes sont marqués par la dureté du monde dans lequel ils vivent.

Du fait de ces cases alourdies par les aplats de noir, la narration visuelle est vitre très prenante : le lecteur ressent que les personnages se débattent contre cette pesanteur, luttent pour simplement vivre. En outre, Phil Hester met en oeuvre une direction d'acteur un peu appuyée qui ajoute une forme de sérieux et d'intensité, parfois à la limite de la caricature, du clin d'oeil comique. le vieux râleur à la caisse fait presque sourire par son caractère revêche et sa mine désapprobatrice. Meg fait presque sourire quand elle montre le bas de son dos, avec la branche qui sort de sa jupe. le grand-père fait presque sourire avec sa large carrure et sa façon de plonger dans l'action. le gang des arboristes fait presque sourire avec leur allure de petites frappes des cités. Mais le dessinateur et l'encreur savent exactement comment doser leurs lignes pour qu'ils soient plus inquiétants, voire sinistres, qu'amusants. Alors qu'en surface les dessins peuvent donner la sensation d'avoir été taillés à la va-vite, à la lecture, ils se révèlent contenir une bonne densité d'informations visuelles, que ce soit sur l'allure des personnages, leur tenue vestimentaire ou les lieux dans lesquels ils évoluent. L'artiste sait placer le bon accessoire ou le bon objet au bon endroit pour rendre chaque lieu spécifique, donner une idée de sa volumétrie, montrer comment les mouvements des personnages sont fonction de leur environnement. En regardant les arbres, le lecteur constate qu'à certains moments, il peut percevoir l'influence de Mike Mignola, sans pour autant que Hester & Gapstur ne le copient. Ryan Cody utilise une palette de couleurs assez sombres venant ajouter du poids à chaque case, tout en respectant bien les traits encrés, sans les écraser.

Le lecteur suit bien volontiers Loretta Hayes et ses enfants Joshua & Meg dans cette fuite, avec l'annonce initiale qu'il s'agit du début de la fin du monde. La trame de l'intrigue est basique : une manifestation horrifique de transformation corporelle, et le retour d'un membre de la famille, perdu de vue à la suite d'un différend. le lecteur apprécie le jeu de mots du titre : arbre de famille, c'est-à-dire un arbre généalogique. L'horreur corporelle reste à un niveau basique et très comics : les dessins montrent que des branches et de l'écorce apparaissent sur le corps des individus, les transformant complètement dans un processus sans explication ni de son mode de fonctionnement, ni de son origine, à ce stade de l'histoire. Meg est inquiète, sa mère aussi, mais le lecteur n'a pas encore eu assez le temps de les côtoyer pour vraiment s'y attacher. L'assimilation des informations s'avère très facile, la lecture est rapide. le lecteur se dit qu'il retrouve aussi un thème récurrent de l'oeuvre de Jeff Lemire : celui de la famille. Ici, le mari de Loretta Hayes est parti du foyer familial sans donner de ses nouvelles. Il n'apparaît qu'un ressenti négatif chez Loretta, sans encore de manifestation de colère chez les enfants. En découvrant ce qu'il est advenu de Darcy Hayes, le lecteur peut y voir une métaphore d'un individu préférant ne pas laisser l'image d'un père diminué par la maladie physique, mais ça reste très léger.

Les auteurs ont fait le choix de commercialiser un premier tome ne contenant que 4 épisodes, ce qui est assez court. Il se lit facilement et avec plaisir, mais laisse un goût de trop peu. En fonction de ses inclinations, cela sera suffisant pour que le lecteur revienne pour le deuxième tome, ou trop peu parce qu'il n'a pas eu le temps de s'attacher aux personnages, pour qu'il ait envie de retrouver ce monde qui va vers sa fin, du fait d'une étrange épidémie.
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