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Critique de Mespetitescritiqueslitteraires


Quiconque connaît l'oeuvre de Frédéric Lenoir, sa pensée et son désir de sagesse ne sera pas surpris de voir combien Baruch Spinoza a influencé sa philosophie comme sa façon d'être, et il est on ne peut plus difficile, pour des novices, de rassembler en quelques mots la pensée spinoziste, tant elle mérite une étude approfondie, des mots justes et précis.
Baruch Spinoza recherche avant tout le "bien véritable", à savoir la quête de la sagesse, le bonheur profond et durable, totalement indépendant des événements extérieurs, quelle que soit leur influence positive ou négative. Pour cela, parvenir à un certain détachement est primordial, tant l'esprit est attiré par la richesse, les honneurs et les plaisirs sensuels. Il cherche donc à dresser un véritable profil des affects basé sur trois sentiments de base et d'où tous les autres découlent : le désir, la joie et la tristesse. Si les deux premiers s'avèrent de vraies émulations, le dernier diminue considérablement la puissance d'action. Désirer fait partie de la nature profonde de l'homme, c'est son étincelle de vie. Ne plus désirer, c'est se déshumaniser. Mais la raison doit pouvoir s'exprimer sans pour autant brimer l'élan vital. Bien au contraire. Désirer en se raisonnant permettra d'orienter la puissance du désir vers ce qu'il y a de meilleur pour chacun. du désir bien orienté dépendra la joie. du désir mal orienté dépendra la tristesse car nous serons désireux ou attachés à des choses ou des personnes qui nous diminueront au lieu de nous élever.
"La conduite juste, ce n'est donc rien d'autre que l'action de rechercher ce qui est bon et utile à l'augmentation de notre puissance vitale. Se mettre en quête de ce qui nous met en joie et fuir ce qui nous rend tristes. C'est favoriser les rencontres qui nous font grandir et éviter celles qui nous diminuent."
Spinoza maîtrisait admirablement bien ses passions, s'évertuant à demeurer dans la voie du milieu, dans la tristesse, dans la joie ou la colère. Ce précurseur des Lumières possédait une haute opinion de la force de la maîtrise de soi, de la raison:
"A l'état de la nature, il n'y a ni bien ni mal, ni juste ni injuste, les hommes cherchant uniquement à conserver ce qu'ils aiment et à détruire ce qu'ils haïssent. Si les hommes vivaient sous l'emprise de la meilleure partie d'eux-mêmes, la raison, ils ne causeraient jamais de tort à autrui. Mais comme ils vivent davantage sous l'emprise de leurs passions (les émotions, l'envie, la jalousie, le besoin de dominer, …), les êtres humains s'entre-déchirent."
Comment ne pas être émerveillés devant une telle pureté de langage, une telle limpidité dans le discours? Près de quatre siècles plus tard, cette pensée trouve encore un écho dans l'actualité, dans la politique. Car la pensée de Spinoza ne porte pas uniquement sur l'homme mais bien aussi sur le système politique et social. Alors que la France vit sous un régime monarchiste, Spinoza met en exergue les avantages d'une démocratie qui, selon lui, constituerait le meilleur régime politique possible. Pour cela, il s'appuie sur le fondement même de tout régime modéré, à savoir, la sécurité des individus qui le composent et la paix. Seule la démocratie semble pouvoir répondre aux aspirations fondamentales de tout individu : l'égalité et la liberté. Et même si la démocratie n'est pas nécessairement le régime le plus vertueux d'un point de vue moral, il est le plus à même d'assurer la cohésion des citoyens.
"Dans la démocratie en effet, nul individu humain ne transfère son droit naturel à un autre individu. Il le transfère à la totalité de la société dont il fait partie; les individus demeurent ainsi tous égaux, comme jadis dans l'état de nature."
Il est donc plus que nécessaire que l'Etat s'engage à apporter aux citoyens la liberté de croire, de penser même si certaines limites semblent indispensables à Spinoza. Concernant la liberté d'expression, le philosophe se permet d'y mettre un bémol, arguant le fait que l'accorder en n'importe quelle circonstance pourrait être pernicieux s'il s'avère qu'elle nuise à la paix sociale en faisant fî de toute raison et incitant par la-même à la ruse, à la colère ou à la haine. C'est pourquoi il rappelle l'importance cruciale de l'éducation des citoyens : vivre-ensemble, citoyenneté, connaissance de soi, développement de la raison, connaissance des droits et des devoirs, développement de l'argumentation. Sans cela, toute démocratie risquerait de s'affaiblir. C'est la raison pour laquelle Baruch Spinoza passera une quinzaine d'années à rédiger l'Ethique, oeuvre philosophique majeure parlant de connaissance des lois du monde et de l'homme, mais aussi de la transformation de soi afin de conduire tout homme vers la sagesse et le bonheur ultime.
"Spinoza nous enseigne qu'aucun régime politique, même démocratique, ne fonctionnera bien tant que les humains seront davantage mus par leurs passions que par leur raison. Tant que nous ne respecterons la loi de la cité que par peur de la punition et non par intime conviction, nos sociétés seront fragiles […]. Pour que les êtres humains soient le plus utiles les uns aux autres, il ne suffit pas qu'il souscrivent à la même loi extérieure, il faut aussi qu'ils apprennent à régler leurs sentiments par la raison, afin de devenir libres et responsables."
Un livre lumineux, une philosophie pour éclairer notre vie à lire, à relire, à n'importe quel moment, pour n'importe quelle raison. Car même si, une nouvelle fois, Frédéric Lenoir a magistralement relevé le défi de rendre accessible la philosophie au plus grand nombre, l'essence même de la pensée de Baruch Spinoza est si admirablement riche qu'elle ne peut s'enraciner durablement en une seule lecture.
Lien : https://mespetitescritiquesl..
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