Parfois ils sortent de la ville et se rendent à Marzahn, où l’on déverse dans une fosse des munitions trouvées. Ils font du feu, ils jettent des cartouchière de fusils-mitrailleurs et se mettent à couvert. Le bruit des balles qui partent en sifflant dans tous les sens est si épouvantable que certains en font dans leur pantalon. Les grands cassent les détonateurs des obus de DCA et versent la poudre noire dans des sacs. Ils entrent dans des ruines dont les cheminées tiennent encore debout. Ils placent l’explosif en bas, dans le bac du poêle ; des lacets plongés dans du désherbant leur servent de mèches. Et lorsque, derrière, la charge éclate , lorsque l’immense cheminée s’effondre comme un géant touché à mort, ils crient et dansent de joie. Les adultes ne demandent jamais où ils étaient passés. Ils mènent leur propre vie.
Anne note que la plupart des chefs de service ne sont pas de vrais journalistes, mais des soldats du parti en service commandé. Les bon journaliste n’en sont pas membres, ce qu’elle trouve étrange, puisque le parti est tout de même censé être l’élite. Comme il n’y a guère de place pour leur texte à eux, la plupart sont presque totalement désœuvrés. À midi, on commence à boire dans les bureaux. Ce sont les chefs de service qui boivent le plus. Les collègues tentent de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues. Il y a des intrigues, des dénonciations, des campagnes. Accessoirement, on fait un journal.
On énumère aussi les mots devenus indésirables parce que l’ennemi s’en est emparés, le nom des produits que l’on n’a plus le droit de mentionner parce qu’ils sont en pénurie. Il y a des mois où personne ne peut écrire « machine à laver » ou « Pneu de voiture ». La« Social-démocratie » est proscrite pendant deux ans, le « Parlement » et le.« Front populaire angolais » pendant six semaines seulement.
Ici, à l'Université, on contrôle même la pureté de la pensée. Quand on ne se livre pas à une profession de foi inconditionnelle, on est isolé.
Notre famille était une sorte de RDA en miniature.
Nouvelle foi contre ancienne souffrance : tel était le pacte fondateur de la RDA.
Quand on porte des jeans ou des claquettes, on est un ennemi de la classe ouvrière. Quand on se tient au coin de la rue avec une radio portable, on est menacé par les auxiliaires de la Volkspolizei.
(...)pour les idéologues du parti, le fascisme était toujours l'argument ultime, celui auquel on avait recours lorsque plus rien d'autre ne fonctionnait.
La politique peut être un sujet de discussion si l'on ne trouve rien de mieux. Ce n'est pas la société, c'est moi qui suis devenu le thème de mon existence. Mon bonheur, mon boulot, mes projets, mes rêves.
Je crois que , pour mes deux grands -pères , la RDA était une sorte de pays de rêve où ils ont pu oublier tout ce qui les avait accablés jusque -là . C'était un nouveau départ , une chance de recommencer depuis le début .