Depuis je vais bien merci ! Pas l’idée débile et asservissante que cet amas de cellules de la taille d’un quart de cacahuète aurait pu être un ”être vivant”, un ”bébé”, ni même un ”fœtus”. Amas de cellules il était, amas de cellules il n’est plus. J’ai avorté, je vais bien merci !
« L’avortement, c’est la possibilité d’interrompre un processus biologique entamé, sur décision de la femme concernée. Ce n’est pas une session de rattrapage pour mauvais élèves, avec justificatifs et excuses à fournir. C’est un droit. »
Nous en avons assez de cette forme de maltraitance politique, médiatique, médicale. Avorter est un droit, avorter est notre décision, qui doit être respectée : nous ne sommes pas des idiotes ou des inconséquentes. Nous n’avons pas à nous sentir coupables, honteuses ou forcément malheureuses.
Avant 1975, en France, les femmes avortent dans la clandestinité et à leurs risques et périls. Beaucoup en meurent ou sont mutilées à vie. Chacune fait ce qu’elle peut, en fonction de son carnet d’adresse et de ses moyens. Certaines ont assez d’argent pour aller avorter dans quelque clinique suisse ou anglaise, tandis que d’autres se retrouvent sur la table de cuisine « d’une faiseuse d’anges », entre la marmite de pot-au-feu et le buffet en formica, en échange de quelques billets. D’autres encore sont obligées de se débrouiller seules et utilisent ce qu’elles peuvent pour s’avorter : « aiguille à tricoter, baleine de parapluie ou de corset, épingle à cheveux » mais aussi « des bigoudis, des scoubidous, des tuyaux d’aquarium, des piques (que les vendeuses utilisaient pour marquer les prix) […] des ciseaux, des fourchettes, des branches d’arbre, des tiges de lierre ou de persil, des os de poulet, du fil de fer, du fil électrique, un bout de bois » (GAUTHIER (Xavière), Paroles d’avortées, quand l’avortement était clandestin, La Martinière, 2004, pages 20–21.).
Quelles que soient les conditions, avant 1975,lorsqu’une femme est déterminée à avorter, elle doit supporter le pire. Combien d’entre elles sont allées travailler avec une sonde introduite dans l’utérus, souffrant le martyre dans l’espoir d’interrompre une grossesse dont elles ne veulent pas ? Gisèle Halimi raconte ainsi qu’elle a plaidé des jours entiers au tribunal, avec une sonde sous sa robe d’avocate. Pendant le procès, elle se tient debout, malgré « une douleur intolérable,fulgurante », des « vertiges [qui lui] brouillaient la vue » et « une fatigue atroce » (HALIMI (Gisèle), La cause des femmes, Grasset, 1973, pages 47.). Pour déclencher l’avortement, les femmes essaient de provoquer une infection. Certaines arrivent à l’hôpital à temps :la grossesse est interrompue et l’infection peut se soigner ;d’autres arrivent trop tôt, et repartent avec leur grossesse etquelques médicaments pour soigner l’infection. Et puis il y acelles qui n’arrivent jamais à l’hôpital ou qui arrivent trop tard, alors que l’infection ne peut plus être enrayée : elles perdent alors leur utérus, leurs trompes ou leur vie, à la suite d’une septicémie, d’une hémorragie ou d’une embolie.
De nombreux-ses militants-es luttent contre cette situation intolérable. En avril 1971, 343 femmes prennent le risque de déclarer publiquement avoir avorté, et ainsi enfreint l’article 317 du code pénal français. Ce faisant, elles s’exposent à une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement si le Ministère publicchoisit de les poursuivre – ce qu’il ne fit pas. Par cet acte de désobéissance civile, les femmes signataires du Manifeste des 343ont contribué à faire de l’avortement une question politique. Il faudra encore quatre années d’âpres luttes (Ces luttes furent menées par des femmes, des médecins, des avocat-es… On se souvient par exemple du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de lacontraception), du MFPF (Mouvement français pour le planning familial), ou encore de l’association « Choisir la cause des femmes », fondée notamment par Gisèle Halimi.) pour que soit – difficilement – votée une loi autorisant le recours à l’avortement.
Cette loi, d’abord votée pour un temps défini (cinq années) est arrachée dans un climat d’une grande violence, notamment vis-à-vis de la ministre de la Santé, Simone Veil, qui essuie de nombreuses insultes. Mais la loi est là. Elle permet enfin aux femmes d’avorter dans de bonnes conditions sanitaires, au sein d’hôpitaux français et sans risquer leur vie. Mieux, dès 1982, l’acte est enfin remboursé par la Sécurité sociale. Mais l’avortement est soumis à de nombreuses conditions : les femmes doivent obligatoirement se rendre à un « entretien social » avant chaque IVG, l’avortement n’est autorisé que dans un délai de 12 semaines d’aménorrhée (absence de règles), soit dix semaines de grossesse, et les jeunes femmes mineures doivent obtenir le consentement de leurs parents pour bénéficier d’une IVG. Il faudra attendre 2001 pour que le délai légal passe de 12 à 14 semaines d’aménorrhée (soit de 10 à 12 semaines de grossesse), que l’entretien préalable obligatoire soit supprimé pour les femmes majeures, et que les mineures puissent avorter sans le consentement de leurs parents.
Dix années après la loi de 2001, trente-cinq ans après la loi Veil et plus de quarante années après le Manifeste des 343, où en sommes-nous avec l’avortement ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir à travers les témoignages de femmes, de militant-es et de soignant-es.
« Vous devez vous sentir coupable » Notre action a débuté à l’occasion des 40 ans du Manifeste des 343, en avril 2011. Nous, filles des 343, avons souhaité donner à nouveau la parole aux femmes, pour lutter contre la culpabilité et le silence dans lesquels, encore actuellement, sont enfermées celles qui décident d’interrompre volontairement leur grossesse. À travers les témoignages que vous allez lire, se dessine l’image de l’avortement aujourd’hui en France – et cette image est, c’est le moins que l’on puisse dire, contrastée.
Commençons par ce qui est encourageant. Les femmes venues témoigner sur le site IVG : je vais bien, merci ! sont combatives et lucides. Conscientes que ce droit fondamental est sans cesse menacé, elles ne semblent pas prêtes à baisser la garde.
Quand vous avortez, on écoute votre malheur, pas votre colère d’être traitée comme de la merde ; On vous tend un miroir déformant : vous vous y voyez comme une femme flasque, défaite, éparpillée sur le sol, brisée. Alors que vous essayez de lever le poing, on vous tend un mouchoir et on vous prédit les larmes.
Et que ce n’était pas un drame, juste un droit (mais que les femmes aient des droits, c’est peut-être un drame pour certains !).
Pourquoi me demande-t-on de justifier mon avortement alors qu’on ne m’a pas demandé de justifier la naissance de mes enfants ? Les conséquences d’une naissance sont tout de même nettement plus lourdes, non ? Quelle logique appliquez-vous ?
Avorter est un droit plein et entier et le prêchi-prêcha obligatoire pré-intervention sert à culpabiliser les femmes. Ce n’est pas une dérogation que l’on nous accorde, c’est un droit que l’on exerce.
Par cet acte de désobéissance civile, les femmes signataires du Manifeste des 343 ont contribué à faire de l’avortement une question politique