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Critique de Alzie


"Notre amie Judith" qui donne son titre au recueil en donne aussi là tonalité générale. Judith, une intellectuelle de quarante ans belle mais un peu terne, célibataire (considérée comme une vieille fille) issue d'une famille bourgeoise, menant une vie relativement monotone et capable aussi d'extravagances, décide d'un voyage professionnel à Florence pour échapper aux insistances banales et propositions de mariage appuyées de son amant, un professeur de grec. Là-bas elle a une brève liaison avec un coiffeur italien qu'elle quitte précipitamment. Deux amies de Judith tentent de la faire connaître au lecteur en essayant d'éluder son comportement, interprétant ses faits et gestes. Leur registre, sur le mode de l'estime amicale qu'elles lui portent, distille une légère ironie où pointe peut-être un peu d'envie à l'égard de la grande indépendance de leur amie. Si le personnage de Judith apparaît en creux au coeur de la nouvelle ce sont les propos des deux amies révélateurs de la mentalité d'une époque que Doris Lessing met surtout en relief.

Recueil de 18 nouvelles européennes, publiées en 1963, 1964 et 1972 (pour huit d'entre elles) où Doris Lessing déploie son univers. Elles sont de longueurs très diverses, de la courte ballade ("Des lions, des feuilles, des roses"), à des narrations bien plus étoffées ("La tentation de Jack Orkney") et leur principale caractéristique serait l'extrême mobilité des angles de vue adoptés par l'auteure qui pose son regard sur les choses ou les personnes pour en livrer un aspect souvent inattendu. Doris Lessing aime les pas de côtés et ignore le prêt à penser. Elle laisse au lecteur la plus grande liberté d'interprétation. Elle aime débusquer les faux-semblants dans les relations, analyser les relations interdites ("L'un l'autre") ou réprouvées ("Mrs Fortescue"), s'intéresse aux rapports et aux problèmes sociaux, de pouvoir ("Devant le ministère"). Elle peut être sur le terrain de l'engagement politique comme celui de la transmission intergénérationnelle ("La tentation de Jack Orkney"). Les morceaux sont construits autour de subtiles variations et la perception d'une multitude de résonances est possible. A titre d'illustration :

"Une histoire pas très jolie" est un vrai sujet de roman, circonscrit dans le périmètre plus restreint d'une nouvelle dont la vérité profonde prend toute sa force dans la contraction de la forme choisie. Histoire de deux couples amis installés dans l'immobilisme de leur mariage respectif mais qui maintiennent leur « harmonie » voire la consolident grâce à une situation d'adultère pendant vingt ans sans trouble... jusqu'à ce qu'un événement imprévu n'interrompe un jour ce cycle. La manière de parler du mariage est éminemment subtile et originale. le fonctionnement des deux couples est décrypté par chacun de ses membres et par celui d'une des deux femmes en particulier (Muriel). L'analyse du couple qu'elle forme avec Frederick est à front renversé, prêtant à Muriel les sentiments que l'époque aurait certainement attribué spontanément à Frederick et vice-versa. le ton est ici celui d'une chronique presque documentaire, la cruauté jamais loin en embuscade. C'est vraiment l'oeil précis d'une naturaliste sur ses spécimens les plus intéressants que Doris Lessing pose sur les quatre personnages évoluant en formations variables : séparément, en duo ou en quatuor, puis en trio à la fin.

Trois autres nouvelles, comme trois respirations ("Des Lions, des feuilles, des roses ; Un autre jardin ; Une année dans Regent's park"), sont prétextes à des réflexions sur la nature lors de promenades ou de flâneries. La promeneuse solitaire qui ne saurait être que Doris Lessing est sensible aux modifications d'atmosphères, de lumières et de couleurs propres aux saisons intermédiaires que sont le printemps et l'automne dans l'hémisphère nord. « Une année dans Regent's Park » est la plus emblématique des trois. L'auteur évoque l'image du théâtre de la nature, le renouvellement des saisons, la répétition immuable des cycles naturels de la vie végétale et animale, un spectacle incessant où les acteurs (animaux et humains) n'en finissent pas de se produire et d'évoluer sur la vaste scène en perpétuelle métamorphose. Cette méditation devant la nature trouve-elle un possible écho dans « La tentation de Jack Orkney » où est aussi décliné ce thème de l'inexorable répétition des choses en se doublant chez le personnage principal d'une conscience aigüe de sa propre incapacité à transmettre ? Dans le même registre « Petits profits annexes d'une honorable profession » se joue de l'alternance de rôles et de masques que la vie privée ou professionnelle donne à jouer aux êtres en prenant le milieu du théâtre pour exemple. D. Lessing prix Nobel de littérature 2007 très connue pour ses romans excelle aussi dans l'art de la nouvelle, en témoigne ce volume dont la lecture est à coupler avec celle des Nouvelles de Londres publiées en 1991.
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