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Critique de Presence


Improbable, c'est le moins que l'on puisse dire de ce projet. En 1976 et 1977 paraissent 10 épisodes d'une série nommée "Omega the Unknown". le scénario est de Steve Gerber et de Mary Skrenes et les dessins de Jim Mooney. Dans ce comics, Steve Gerber s'était lâché (autant que d'habitude dans Essential Man-thing 1 ou Essential Defenders 3). Et malgré sa courte durée de vie, cette histoire a impressionné tellement de personnes (à commencer par moi) qu'elle est devenue culte. Pour les curieux les épisodes ont été réédités dans Omega the unknown Classic.

En 2005, les éditeurs de Marvel proposent à Jonathan Lethem (un écrivain assez connu, auteur de Motherless Brooklyn. & Forteresse de solitude) de choisir un personnage de son choix dans l'univers Marvel pour réaliser un comics. Les éditeurs américains restent persuadés que pour attirer de nouveaux lecteurs une solution miracle est de recourir à un écrivain reconnu (le résultat est rarement à la hauteur des espérances car un livre et une bande dessinée ont des grammaires narratives différentes). Lethem fait partie des personnes marquées à vie par Omega et il propose d'en faire un remake. Contre toute attente le résultat est à la fois respectueux de l'original et personnel.

C'est l'histoire d'un guerrier intergalactique qui se trouve naufragé sur terre pour lutter contre l'invasion imminente d'extraterrestres ; cette mission est la raison d'être de sa caste. C'est l'histoire de Titus Alexander Island (un jeune garçon de 14 ans) qui a été élevé à l'écart dans une maison isolée dans la campagne et que ses parents conduisent vers New York pour qu'il puisse bénéficier d'un cursus universitaire dans une institution spécialisée pour surdoués. Sur le chemin, un accident se produit et ses 2 parents décèdent. Il est recueilli par l'infirmière qui s'occupait de lui à l'hôpital et inscrit dans un collège ordinaire où il rencontre une camarade compréhensive et des brutes bas de plafond. C'est l'histoire du développement d'une chaîne de fastfood. C'est l'histoire d'un superhéros (Mink, le vison en anglais) très médiatique. C'est l'histoire d'une intelligence extraterrestre ayant visité des centaines de monde, et en goguette sur terre. C'est une histoire improbable, terre à terre, newyorkaise, galactique, universitaire, économique, poétique, et bien plus encore.

C'est une histoire dessinée par Farel Dalrymple, un illustrateur très underground et peu prolifique. Il utilise un style simple, dans une veine réaliste, sans être photographique. Il s'agit clairement d'illustrations destinées à des lecteurs adultes : il bannit les courbes et les rondeurs enfantines, il n'enjolive pas ses personnages (pas de poitrines défiant la gravité, pas de top modèles), les scènes d'action sont très terre à terre et presque sans aucun effet pyrotechnique. Chaque décor dispose d'éléments qui le rendent unique, sans jamais en faire une carte postale idyllique, mais sans noirceur surajoutée. Les expressions faciales présentent une grande variété, sans pour autant que les mimiques soient surjouées. Dalrymple s'applique à rendre chaque scène aussi ordinaire que possible. Ses dessins se lisent très facilement. Et par voie de conséquence, les diverses étrangetés qui parsèment le récit semblent surréalistes : elles sont intégrées factuellement aux dessins, sans aucun recul. Ainsi l'un des antagonistes se révèle être une main géante de taille humaine pourvue de jambes. Dalrymple la dessine comme les autres mains, sans essayer de rendre le concept crédible, ou merveilleux, ou terrifiant.

De son coté, Lethem (aidé pour les dialogues par Karl Rusnak) livre un remake de l'histoire de Gerber et Skrenes. Et à la lecture, j'ai effectivement retrouvé les mêmes sensations qu'à la découverte de l'original. Mais Lethem bénéficie de 10 épisodes pour raconter complètement son histoire, alors que Gerber et Skrenes avaient dû se plier à des désidératas des éditeurs (inclure des guest stars comme Hulk) et fermer boutique avant d'avoir terminé faute de suffisamment de lecteurs. Lethem réussit à tout boucler dans une histoire cohérente qui respecte l'étrangeté de l'original et sa poésie décalée. Les éléments de science fiction supportent l'infrastructure de l'histoire au premier degré sans aucune moquerie. Les scènes irréelles (telles que cette main géante) font partie intégrante du récit sans aucune solution de continuité, sans artificialité. Les personnages principaux bénéficient tous d'une psychologie étoffée, de sentiments qui sonnent vrai et d'un capital de sympathie au dessus de la moyenne. Et Lethem intègre des thèmes supplémentaires inattendus comme les avantages et inconvénients de diffuser une marque par le biais de points de vente franchisés.

Au départ, cette histoire avait tout d'un remake inutile et incapable d'atteindre le niveau de l'original, plombé en plus par un scénariste étranger aux comics et un dessinateur trop original pour s'acclimater à une histoire avec d'étranges superhéros. À l'arrivée, l'esprit originel est respecté et retrouvé, et les auteurs font entendre leur propre voix dans un récit original et décalé. Pari tenu & objectif atteint.
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