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Critique de mumuboc


Il y a des livres dont on sait qu'il nous faut les lire. Celui-ci était sur mes étagères depuis très très longtemps mais il faut choisir le moment pour le lire car on sait qu'on ne ressortira pas indemne, même si l'on connaît les faits, qu'on a déjà lu des témoignages entre autre celui de Simone Veil, que c'est une plaie qui ne se refermera jamais.

Au moment où je rédige cette chronique je ne peux m'empêcher de songer qu'il y a des coïncidences (et ce n'est qu'une coïncidence) troublantes. En rentrant hier soir d'un comité de lecture, j'apprenais que Marceline Loridan-Ivens, autre voix-témoin des atrocités des camps de déportation, nous quittait. Comme Simone Veil, Primo Levi et elle (et d'autres anonymes ou non) oeuvraient inlassablement pour que l'on n'oublie pas, jamais.

J'ai refermé ce livre avec un profond sentiment d'indignation vis-à-vis des bassesses humaines. Jusqu'où peut aller la folie humaine, les atrocités perpétrées par certains qui au-delà des souffrances physiques vont jusqu'à s'attaquer à l'âme de l'homme, le ramener plus bas que terre, n'être plus rien, transparent, ignoré, n'être plus qu'un numéro 174 517 tatoué sur la peau qui, même pour les survivants, restera la trace de leur passé.

Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste. (p34)

Marquer des êtres humains comme on marque un troupeau et encore ceux-là avaient une petite chance de survie d'un jour, quelques jours..... Les courts numéros étaient peu nombreux à son arrivée. Tenir un jour de plus relevait de l'exploit, de petite magouilles, d'entraide et parfois de haine et Primo Levi narre de façon presque urgente, comme si ce genre de souvenirs pouvaient s'oublier (Si c'est un homme a été publié 2 ans après sa sortie du camp).

La redoutable sélection, ceux qui vont rester, ceux qui vont disparaître,  les exécutions, la potence, les travaux inhumains dans le froid qui finissent de détruire les corps qui n'ont déjà plus l'apparence d'êtres humains, la Faim omniprésente, trouver un peu plus que l'ordinaire pour tenir, pour ne pas faire partie des faibles qui disparaîtront à la prochaine sélection, les rivalités, les kapos et puis l'attente insoutenable des libérateurs, sans pratiquement aucune ressource. le compte à rebours est lancé : qui les verra, qui vivra ce jour tant attendu et après......

Primo Levi veut rendre hommage à tous ceux qui n'en sortiront jamais et à ceux qui une fois sortis, n'ont pas survécu parce que le passé encore trop présent, parce que le passé a laissé trop de traces, trop de douleurs, parce que même pour l'auteur survivre a été un combat à l'époque mais aussi après (il s'est suicidé en 1987).

Le récit se divise en deux parties : son arrestation, le voyage vers l'enfer, l'arrivée, la découverte et la vie dans le camp. le processus d'annihilation totale des êtres humains est extrêmement bien restituée, disséquée : la méthode, la dureté des traitements, la lucidité du narrateur sur son environnement.

Les loques ne se révoltent pas. (p288)

Primo Levi a ensuite jugé intéressant de partager dans un appendice à la fin du livre les principales questions qui lui étaient posées lors de conférences ou de rencontres afin de témoigner, d'expliquer inlassablement, ce dont il avait été témoin afin d'espérer qu'un jour cela ne puisse pas se reproduire.... Il explique parfaitement pourquoi et comment les nazis pensèrent et mirent en oeuvre l'anéantissement des juifs, les peuples connaissaient-ils l'existence de ces camps, a-t-il retrouvé des survivants qui partageaient son bloc.

J'ai trouvé intéressant sa réponse à la question :

On ne trouve pas trace de haine à l'égard des Allemands (...) ni même de désir de vengeance. Leur avez-vous pardonné ?
La haine est assez étrangère à mon tempérament. Elle me paraît un sentiment bestial et grossier, et dans la mesure du possible, je préfère que mes pensées et mes actes soient inspirés par la raison ; c'est pourquoi je n'ai jamais, pour ma part, cultivé la haine comme désir primaire de revanche, de souffrance infligée à un ennemi véritable ou supposé, de vengeance particulière. (p277)

On ressent à la fois l'implacabilité des faits, l'absurdité (parfois avec une pointe d'humour) de certaines consignes, certains réglements, l'humiliation permanente, la faim, le froid, la promiscuité,  ne nous faisant part uniquement de ce qu'il a vécu, vu, entendu, se jugeant privilégié car ayant survécu grâce à sa formation de chimiste qui lui a permis les derniers mois d'avoir un poste "enviable" dans le camp, de tenir mais aussi la douleur, un sentiment de culpabilité qui l'envahissent petit à petit, car au-delà du quotidien du camp c'est aussi un regard sur notre humanité, ce que l'homme peut devenir : bourreau, victime.

Ce livre est un témoignage écrit dans l'urgence de faire connaître au monde l'horreur, il n'y a pas une recherche d'écriture, la construction du récit est chronologique, dans la restitution d'un vécu, comme un journal des 9 mois vécus à Auschwitz et comme il le dit lui-même dans sa préface :

J'ai eu la chance de n'être déporté à Auschwitz qu'en 1944, alors que le gouvernement allemand, en raison de la pénurie croissante de main-doeuvre, avait déjà décidé d'allonger la moyenne de vie des prisonniers à éliminer, améliorant sensiblement leurs conditions de vie et suspendant provisoirement les exécutions arbitraires individuelles (...) Il me semble inutile d'ajouter qu'aucun des faits n'y est inventé. (p7-8)
Lien : http://mumudanslebocage.word..
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