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Critique de Gaphanie


Si c'est un homme est le témoignage de Primo Levi, italien et juif, sur ce qu'il a vécu entre le moment où il a été raflé et mis dans le train jusqu'à la libération d'Auschwitz par les Russes.

Un témoignage rare et précieux à plus d'un titre. D'abord, ils ne sont pas nombreux, ceux à en être revenus. Ensuite, Primo Levi a rédigé ce témoignage très vite, dès 1947, alors que tout était encore frais dans sa mémoire. Enfin, il a pris le parti de narrer les événements de manière dépassionnée, à la manière d'un témoin comme il le dit lui-même.

Du coup, ce n'est pas une lecture facile : les conditions sont épouvantables, ça, on le savait déjà, mais ce qui est moins évident, ce sont les comportements et les relations entre les humains. Les prisonniers se volent les uns les autres, font du marché noir, souvent au détriment des nouveaux, en fait, chacun lutte pour sa survie, implacablement. Primo aura de la chance (enfin, si on peut dire !), celle de croiser la route de Lorenzo, ouvrier italien civil, à la Buna, l'usine de caoutchouc où il travaille, qui lui donnera des rations de soupe supplémentaires et tout le soutien matériel qu'il peut, mais aussi et surtout la certitude qu'il est encore un être humain. Il retrouvera aussi Alberto, un ami, avec qui il partagera 50/50 tous les bonus qu'ils pourront obtenir par différentes combines et inventions (trafic de balais, par exemple).

Le moment le plus dur est le laps de temps qui sépare l'abandon du camp par les Allemands de l'arrivée effective des Russes. Lorsque le camp est évacué, Primo est à l'infirmerie, atteint de scarlatine. C'est encore une chance (!) pour lui car de tous les prisonniers évacués à pied, peu, très peu survivront à la marche forcée. Alberto succombera, Primo l'apprendra plus tard par Jean, un autre co-détenu avec qui il avait plus ou moins sympathisé, bien que ce terme soit assez inapproprié vu les circonstances. le sort des malades restés sur place parce que pas en état de marcher est pire encore. Livrés à eux-mêmes, malades de typhus, de dysenterie, de scarlatine, bientôt sans électricité, ni chauffage, ni ravitaillement... Parmi ceux qui partagent le block de Primo, deux paysans français, des Vosges, Charles et Arthur, fraîchement arrivés et encore à peu près vaillants. A eux trois, ils parviendront à ramener un poêle, du combustible, de la nourriture, essentiellement des pommes de terre pour continuer à survivre, mais à quel prix ! Barricadés pour défendre leur territoire de tous les autres malheureux. Eh oui, quand il n'y en a déjà pas assez pour 6, comment en accueillir et en nourrir 80 ?

Le destin de Si c'est un homme est assez particulier aussi : édité dans un premier temps à faible tirage, il sombrera assez vite dans l'oubli, avant d'être réédité plus de dix ans après et de rencontrer enfin le succès qu'il mérite. Cette édition comporte en fin d'ouvrage les réponses de Primo Levi aux questions les plus fréquemment posées. Et ce que j'ai particulièrement apprécié, c'est qu'il commence toujours par apporter un réponse raisonnée, étayée et pédagogique même, avant de confier son ressenti personnel, souvent nettement moins nuancé. J'ai particulièrement aimé sa façon de resituer la montée au pouvoir de Hitler et le massacre des Juifs qui a suivi dans le contexte plus global de la montée des fascismes en général, malgré le caractère tristement exceptionnel de cette période. Sa vison de la responsabilité du peuple allemand est aussi intéressante et se rapproche de la vision de la philosophe Hannah Arendt avec son concept de la banalité du mal.

Un témoignage essentiel qui est parvenu jusqu'à moi parce qu'un de mes enfants a dû le lire cette année en classe de seconde. Clairement, je trouve que d'autres oeuvres auraient mieux convenu à cette tranche d'âge, car affronter ce récit demande une certaine maturité.

Un témoignage qui m'a remuée bien plus en profondeur que d'autres parfois plus "gore" parce qu'il met clairement en relief ce qu'est la déshumanisation.


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