Ma mort me semblait la plus personnelle de mes décisions, mon suprême réduit d’homme libre ; je me
trompais. [...] Je ne veux pas laisser à leur amitié [à mes amis] cette image grinçante d’un supplicié incapable de
supporter une torture de plus. [...] L’existence m’a beaucoup donné, ou, du moins, j’ai su beaucoup obtenir d’elle ; en ce moment, comme au temps de mon bonheur, et pour des raisons toutes contraires, il me paraît qu’elle n’a plus rien à m’offrir : je ne suis pas sûr de n’avoir plus rien à en apprendre.
... ce roman apporte un démenti formel à la distinction faite entre littérature de savoir et littérature tout court. Marguerite Yourcenar appartient en effet, comme Madame de La Fayette ou Tolstoï, à la lignée des écrivains dont l'imagination est sollicitée par l'exactitude des faits historiques. A l'inverse, il est raisonnable de penser qu'une science humaine comme l'Histoire a besoin d'être complétée par la vision d'un romancier. Autant en effet la science historique contemporaine a été conduite à s'émietter entre des disciplines hautement spécialisées (...), autant la vision d'un romancier est globale ; autant d'autre part, l'historien doit, par honnêteté, se limiter dans la description et l'interprétation des faits aux documents qu'il détient, autant le romancier peut exercer son intuition et se déployer dans le champ du vraisemblable. Soit, comme l'écrit Marguerite Yourcenar elle-même dans une formule condensée : "Refaire du dedans ce que les archéologues du XIX°s ont fait du dehors."
p. 40
Voici un livre ardu, grave et fort. Que s'abstiennent les lecteurs qui voudraient le survoler hâtivement ou l'avaler sans mâcher. Il s'adresse à ceux qui ne refusent pas les lectures difficiles, sachant qu'elles vous investissent, vous poursuivent et parfois même vous transforment.