Louis XIV a créé le mythe de Versailles. C'est peut-être le plus grand miracle du Roi-Soleil. Car ces grands seigneurs, ces ducs, ces descendants de vieilles et authentiques familles sont loin d'être des sots, des flagorneurs sans discernement, des médiocres. S'ils s’en glisse parmi eux–et Saint-Simon sait bien les fustiger–la plupart ne manquent ni d'intelligence ni de culture. Ils sont fortunés, possèdent de magnifiques domaines, un hôtel à Paris. Ils sont souvent les premiers dans leur province.
L’habilité de Louis XIV a été de les convaincre que toute leur intelligence doit être mise dans l'observation de l'étiquette, que toute la richesse ne vaut pas le plus médiocre gîte à Versailles, et que, loin du souverain, la vie est devenue insipide.
(…)
Hors de la cour, point de salut. Stendhal l’a souligné impitoyablement : « le chef-d'œuvre de Louis XIV fut de créer l'ennui–au sens originel du mot–de l'exil. »
Versailles est abandonnée.
Pendant les jours qui suivent le départ de la famille royale, c'est une fuite éperdue. (...) À la surintendance des Bâtiments, on continue à prévoir des travaux de restaurations pour les années qui viennent comme si rien ne s'était passé. il semble que Louis XVI, pour sa part, n'ait pas nourri d'illusions :
« Vous restez le maitre ici, a-t-il dit à La Tout du Pin, le ministre de la Guerre. Tâchez de préserver mon pauvre Versailles. »
Déjà, la monarchie s'est retirée du château, le rideau est tombé sur la grande pièce qui s'est jouée quotidiennement depuis plus d'un siècle dans ce décor crée par Louis XIV, maintenu et embelli par ses successeurs.
La scène restera vide. Les acteurs qui s'agitèrent sous nos yeux, à jamais dispersés, ne sont plus que ces fantômes évoqués par Musset.
En 1682, Louis XIV règne depuis 40 ans. Il a remporté sur ses adversaires les plus belles victoires. La France est le pays le plus puissant d’Europe. Dans le monde civilisé, tous les yeux sont tournés vers ce palais qui occupe dans l'esprit du roi une place prépondérante et constitue son souci essentiel.
(…)
Qui a poussé le roi à modifier si gravement ce caractère fondamental de la monarchie française ? Là-dessus, tous les historiens s'accordent. Louis XIV a voulu domestiquer la noblesse pour lui ôter le goût de conspirer. Violemment impressionné par les troubles de la fronde et les humiliations subies en 1649, il n'a pas oublié les luttes que sa mère et Mazarin ont dû soutenir contre les princes révoltés, et leur allié naturel, le peuple de Paris. C'est pour les isoler de la capitale, ou de mauvais ferments risquent toujours de les détourner de leur devoir, qu’il leur a imposé Versailles, et ce séjour à la campagne.