De l'extérieur, le gouffre qui n'avait cessé de se creuser
entre nous n'était pas visible. On continuait à engranger de
l'argent à la pelle. Mais il ne servait à rien de tourner autour
du pot : I'heure était venue de jeter l'éponge. Dean et moi
avons décidé de tout arrêter en étant au sommet.
Le 24 juillet 1956, un mardi soir - neuf ans et trois cent
soixante-quatre jours après notre première apparition
ensemble sur une scène, au Club 500 de Skinny d'Amato
à Atlantic City -, nous avons donné nos trois ultimes repré-
sentations au Copacabana, sur la 60- Rue à Manhattan.
La soirée eut tôt fait d'acquérir l'ampleur d'un événe-
ment historique. Après tout, au cours des dix ans écoulés.
Martin et Lewis avaient enchanté I' Amérique et le reste du
monde. Nous avions été très demandés, aimés, idolâtrés
Maintenant, la fête était finie et ce, de notre propre chef.
La liste des célébrités invitées pour le grand soir s`allon-
geait indéfiniment. Il nous restait une demi-heure à tuer
avant la première représentation, mais Dean et moi avions
fort peu à nous dire. La soirée serait rude et on savait, l'un
comme l' autre, qu'on ne pouvait pas se permettre de bâcler
ni de ne pas se montrer professionnels. Par conséquent, on
avait prévu de s'amuser, si possible, tout en donnant notre
meilleur spectacle et le meilleur de nous-mêmes