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Critique de HordeDuContrevent


Voilà un petit bijou littéraire écrit en 1937, une fable tragi-comique assez méconnue, qui sait distiller à merveille suspense et humour caustique.

Un homme de la bonne société new-yorkaise, Henry Preston Standish, courtier de métier, père de bonne famille et menant une vie respectable mais morne, se rend compte un jour qu'il s'ennuie profondément. Il s'ennuie au travail, avec ses amis, en famille. Voulant s'évader de cette vie rangée dans laquelle il se sent comme en prison, il décide de partir en voyage durant quelques mois laissant femme et enfants à la maison. Il retrouve alors le goût et le temps de lire, d'écrire, de jouer, de manger, de boire et de dormir.
Un matin, à bord du paquebot Arabella qui fait la traversée de Hawaï à Panama, alors qu'il s'est levé très tôt pour venir admirer le lever du soleil sur le pont, il glisse sur une absurde et malencontreuse tache de graisse et tombe à la mer en plein milieu d'une route maritime rarement tempétueuse mais peu empruntée.

Quand va-t-on s'apercevoir de sa disparition ? le paquebot fera-t-il, comme il le pense, marche arrière pour venir le récupérer ?

« Nager constamment sur place devenant un peu fatiguant. Standish se souvint qu'il était flottable. Quand il était petit, il trouvait toujours que c'était un drôle de mot, « flottable ». Un jour un maitre-nageur lui avait dit : « certaines personnes sont flottables et d'autres non, c'est comme ça ». Standish pouvait écarter les bras, pointer les orteils, rester allongé, cambrer le dos. Ensuite, s'il gardait de l'air plein les poumons et le renouvelait astucieusement en ne prenant que de petites inspirations, il pouvait flotter indéfiniment sans avoir à s'épuiser ».

En attendant, seul dans l'eau des heures durant, nous assistons à l'évolution des pensées et des sensations tant physiques que mentales de Standish qui prend peu à peu conscience du drame qu'il est en train de vivre.
Alors qu'il garde son côté gentleman au tout début, imaginant avec fierté et une excitation virile le récit qu'il pourra faire à ses proches de l'aventure qu'il est en train de vivre, riant de sa bêtise, notre homme perdra de sa superbe, à mesure que les heures s'enchainent au rythme de la progression du soleil au-dessus de sa tête, et verra toute sa vie défiler.
Il ne se passe rien durant cette attente (pas de requin venant le menacer, pas de nouveau bateau en vue, pas d'île vers laquelle nager, pas de grandes vagues angoissantes), mais les pensées tant descriptives que philosophiques ne cessent de fuser faisant peu à peu tomber le lourd masque des convenances du gentleman.
Il est intéressant de voir, en parallèle, ce qui se passe sur le paquebot pendant que lui, dans l'eau, attend le retour du bateau en imaginant la réaction des autres passagers.

Herbert Clyde Lewis développe une critique sociale en posant un regard acerbe sur la société de son époque, tout particulièrement sur ces personnes de la haute société, tout en teintant le récit d'une morale philosophique passionnante sur le sens de l'existence.
Notons que l'auteur, victime du pré-maccarthysme, tombera lui aussi dans l'oubli pendant de longues années. Standish est en quelque sorte une figure emblématique de l'homme abandonné et devenu invisible, en marge de la société.

Il aura fallu attendre 2023 pour le voir enfin traduit en français et le repêcher des eaux saumâtres de l'oubli. Plongez vite découvrir cette pépite !

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